Interview Steve Hogarth : 2013, l’année de tous les succès !
Tout auréolé par le succès mondial du magnifique « Sounds That Can Be Made« , c’est un Steve Hogarth étonnament libéré, serein et optimiste qui a eu la gentillesse de se confier à nous. Depuis Montreal le 22 mars 2013 (à quelques heures à peine de la convention canadienne), l’artiste revient sans tabou ni barrière sur son actualité particulièrement riche avec Marillion, et ses projets parallèles qui ne le sont pas moins. Un grand merci à lui pour avoir accepté cette interview !
C&O : Es-tu conscient que « Sounds That Can ‘t Be Made » est un des meilleurs albums de Marillion avec « Brave » ?
H : Eh bien, maintenant je le suis ! L’album semble avoir très bien été reçu. Un grand soulagement pour tous !
C&O : L’enregistrement de ce disque a été très difficile. Peux-tu nous en dire plus ?
H : Nous avons manqué de temps … Au moment où nous devions donner des concerts aux Etats-Unis, l’album n’était pas fini, alors que nous étions supposés le promouvoir pendant cette tournée. Nous avons donc dû le terminer PENDANT la tournée américaine. Nous avons enregistré nos parties sur nos ordinateurs portables, chacun de notre côté dans nos chambres d’hôtels, sans savoir ce que chacun faisait, puis on a tout envoyé à Mike Hunter en Angleterre afin qu’il en fasse le tri et rassemble ce qui collait. C’est une façon de travailler complètement folle et j’avais peur que tout cela nous donne un CD bricolé et fouillis, un peu comme si cinq mecs faisaient un gâteau en ajoutant des ingrédients qu’ils aimaient sans connaître les autres ingrédients ! Cela aurait pu donner un truc horrible, apparemment il n’en est rien !
C&O : Es-t-il vrai que le groupe a failli splitter au Portugal ? Ian Mosley aurait été l’élément qui a évité le désastre, quel a été son rôle ?
H : Aller au Portugal était une erreur. Ma compagne était malade, et je n’aurais jamais dû partir. Je suis arrivé 3 jours après tout le monde, et étrangement, rien n’allait : ni l’endroit où l’on enregistrait ni l’équipement ne me permettaient d’avoir un son correct pour ma voix. Le groupe n’aimait pas les paroles que j’avais écrites et je n’étais pas habitué à cela : je me suis dit, autant rentrer à la maison. Mais British Airways s’est mis en grève et il n’y avait plus AUCUN vol. Nous étions bloqués au beau milieu de nulle part au Portugal, au point mort. Je pensais ne pas pouvoir beaucoup contribuer au processus créatif, qu’on ne me respectait plus, et je ne pouvais pas partir. J’étais inquiet pour Linette et j’étais profondément préoccupé par le fait que, créativement, nous étions partis sur des chemins différents, et qu’il était temps pour moi de passer à autre chose. Lorsque nous sommes enfin rentrés en Angleterre, nous avons eu une petite discussion où j’ai dit que j’en avais assez. Ian a suggéré que plutôt que d’aller chacun de notre côté, nous devrions prendre un peu de repos et en reparler quelques mois plus tard. Ce fut la voie(x) de la sagesse. Paradoxalement, et avec l’aide inestimable de Mike Hunter, nous nous sommes mis à écrire de très bonnes chansons.
C&O : Quelles ont été les réactions de la presse et du public à cet album ?
H : De tous les emails et conversations partagés avec les gens, c’est à peu près la même réaction que celle que vous avez eue : les gens placent cet album au top des créations du groupe Il semble que les fans ET les critiques considèrent que « Brave », « Afraid Of Sunlight » et « Marbles » sont les moments forts de ma carrière au sein de la formation. On parle en mêmes termes de « Sounds That Can’t Be Made ». Même si je suis très reconnaissant de cet accueil enthousiaste, je peux dire honnêtement que je ne peux jamais prévoir comment le monde va réagir à chaque disque. C’est super que celui-ci soit autant acclamé.
C&O : Comment as-tu vécu la controverse sur « Gaza » et tous ces commentaires stupides sur toi ? Etais-tu préparé à de telles réactions ?
H : Aucun de ces commentaires n’est « stupide ». La réaction la plus difficile à encaisser vient des personnes qui ont des opinions bien tranchées et qui ne se rendent pas compte du temps que j’ai passé à écrire ces paroles. J’ai essayé d’écrire ce morceau en parlant d’un enfant. Une chanson qui dit : « De n’importe quelle façon on regarde le problème… pour nous, d’avoir à vivre ainsi, ce n’est pas juste« . Les paroles reconnaissent que les Palestiniens commettent des actes violents contre Israël. Elles ne s’en félicitent pas et elles ne commentent pas la politique d’Israël. La chanson ne fait pas le compte des morts, mais j’espère que les gens qui l’entendront iront regarder ces statistiques partiales et se demanderont pourquoi le reste du monde ne les dénonce pas d’une voix plus forte. Je suis pro Palestinien seulement à cause des statistiques recensant les morts. Je pense qu’elles résonnent plus fortement que n’importe quel argument « rationnel » ou historique. J’ai passé mes week-ends à Skyper des israéliens et des gens de Gaza, et je pense avoir écrit ces mots, autant que possible, avec une bonne connaissance de cet endroit. Je suis reconnaissant au groupe d’avoir fait face avec moi et d’avoir insisté pour que le morceau sorte. Nous étions sûrs que cela allait déranger beaucoup de monde et que nous allions perdre beaucoup de nos fans israéliens. Je regrette que quiconque soit offusqué par cette chanson.
C&O : Vous avez sorti un fantastique remaster de « Radiation ». Y aura-t-il d’autres remasters (comme « Dot.Com » par exemple) dans les années à venir ?
H : Honnêtement, je ne sais pas. Mike Hunter est un magicien du son et un brillant musicien qui a un attrait pour la musique, l’art et la littérature. Nous avons bien de la chance de l’avoir.
C&O : Comment s’est passée cette tournée mondiale ? Ton meilleur et ton pire souvenir ?
H : Meilleur souvenir : Santiago du Chili et Mexico. Incroyable. Me tenir sur le devant de la scène à Mexico et entendre les gens chanter « No-one can take you away from me now » en pensant chaque mot. La moitié du public pleurait. C’était incroyable.
Le pire: Eindhoven. J’avais des problèmes de voix et je pouvais à peine chanter, j’avais l’impression d’être un charlatan. J’ai eu les mêmes problèmes à Stockholm mais les gens m’ont vraiment soutenu d’une manière vibrante. Merci Stockholm !
C&O : Comment vois-tu l’avenir de Marillion après un tel album ?
H : On ne peut jamais savoir et c’est ça qui est excitant. Tous les 5, nous nous entendons très bien en ce moment. Après tant de musique écrite et enregistrée, je me demande ce qu’il reste encore en nous, mais bon, ça fait des années que je me demande la même chose ! « Sounds That Can’t Be Made » prouve qu’alchimiquement, nous ne sommes pas encore morts.
C&O : Y aura-t-il un autre disque avec Richard Barbieri ? Qu’allez-vous jouer lors des concerts en septembre ?
H : J’imagine qu’il y aura d’autres morceaux de Richard et de moi à enregistrer. J’ai adoré faire « Not The Weapon But The Hand ». Nous voulons jouer autant que l’on pourra du CD, avec quelques morceaux bien choisis de mon opus solo, peut-être un ou deux morceaux réarrangés de Porcupine Tree, et une ou deux chansons de Marillion. Peut-être aussi une ou deux reprises d’autres artistes. Nous verrons …
C&O : As-tu l’intention de reformer le H Band ou de publier un nouvel album solo après le magnifique « Ice Cream Genius » ?
H : J’ai toujours eu l’intention de faire un second solo, dès la sortie du premier disque ! Mais je n’ai pas encore réussi à le concrétiser ! Ce serait génial de reformer le H Band, j’ai pris beaucoup de plaisir lors des concerts, artistiquement et personnellement. Nous verrons.
C&O : Tu sembles maintenant très optimiste, ce qui a rarement été le cas par le passé. Comment l’expliques-tu ?
H : La sagesse qui vient avec l’âge, peut-être. Le fait d’accepter le réel. La perspective de ma vie en comparaison avec la bonne ou mauvaise fortune qui règnent dans le monde (pour moi, c’est la case « Lucky Bastard » à l’extrémité du spectre !). Je ne suis pas sûr d’être optimiste par rapport à la destinée du monde, mais dans l’univers de Marillion, les choses deviennent de plus en plus belles au fur et à mesure que les années passent. Nous venons juste de finir nos concerts de la convention à Port Zelande en Hollande, et je suis certain que ce que nous avons avec nos fans est totalement unique dans le monde du rock ‘n’ roll. Les gens sont venus de 43 pays se rassembler dans une salle pour s’éclater. Les mecs de la sécurité n’ont rien eu à faire pendant trois jours. C’est bête à dire, mais nous avons un amour sans pareil et une compréhension mutuelle incomparable.
Propos recueillis par Philippe Arnaud, Frédéric Natuzzi,
Bertrand Pourcheron et Philippe Vallin, le 22 mars 2013.
Photos : Christophe Demagny