Huun Huur Tu – Best Live
Huun Huur Tuu
Jaro
Dans la langue du peuple de Touva (minuscule république autonome de l’ex-URSS située en plein cœur de l’Asie, au sud de la Sibérie), l’expression « Huun Huur Tu » se réfère aux rayons du soleil éclairant la prairie au crépuscule (traduction littérale : « Le Prisme vertical de la lumière bleue »). Les 4 membres de cet ensemble musical étonnant ont choisi ce patronyme pour mettre en évidence leur attachement profond aux traditions pastorales et au mode de vie nomade propres aux grandes plaines de la toundra dont ils sont originaires. A la frontière de la Mongolie et à l’instar de cet immense et magnifique pays, la république de Touva est célèbre pour sa musique insolite et fascinante, plus particulièrement pour son fameux « chant de gorge » (ou « kloonei » en langue mongole), qu’on appelle en occident « chant diphonique » ou « chant harmonique ». Cette technique vocale, rebutante de prime abord mais passionnante quand on veut bien prendre la peine de s’y plonger, est assez proche de celle développée par les moines tibétains ou encore par certain vocalistes japonais. Grâce à celle-ci, un même chanteur peut produire deux, voir trois tonalités simultanément avec sa voix ! (la ligne dite « fondamentale » et une ou des « harmoniques »). Faisant appel à des vibrations et des mouvements précis de la cavité buccale, y compris des lèvres, de la langue, du palais, du larynx et de la glotte, doublés d’un travail de maîtrise du souffle, le chanteur peut produire des sonorités surprenantes et variées, allant même jusqu’à imiter des bruits de la nature tels que le chant des oiseaux, le vent dans la steppe, le ruissellement de l’eau , le hennissement des chevaux ou le cliquètement rythmique des étriers d’un cavalier (tradition nomade oblige : le cheval est l’élément primordial et omniprésent dans l’art et la culture des Touvas). Les membres de Huun Huur Tu excellent dans cet art ancestral qu’ils développent avec une incroyable maîtrise (chant tour à tour aigus et guttural), doublée d’une attention toute particulière en ce qui concerne le style et l’accompagnement instrumental (vielle à tête de cheval, luth,
guimbardes, percussions et guitare).Kaigal Ool Khovalyg, Anatoli Kuular, Sayan Bapa et Alexei Saryglar ont depuis toujours axé leur travail sur le répertoire traditionnel tuvan, faisant revivre des chants très anciens et oubliés (qui d’ailleurs le seraient restés sans la chute du mur de Berlin), et en réhabilitant par la même le Klooneï au rang de véritable musique populaire portée par les nouvelles générations. Mais si leur répertoire reste toujours ancré dans leurs traditions, celui ci joue la carte de la constante innovation, notamment par le biais d’étonnants métissages initiés avec le défunt Franck Zappa au début des années 90, puis poursuivis avec des collaborations fructueuses avec des musiciens de la trempe de The Chieftains, The Kronos quartet, Fun Da Mental ou encore le Mystère des voix Bulgares. Grâce à cette ouverture, le groupe connaît aujourd’hui un succès international retentissant, salué par toutes les critiques et se produisant sur diverses scènes du monde entier à guichet fermé. Tandis que dans leurs compatriotes de Yat-Kha font fusionner leur chant de gorge avec des musiques résolument modernes (rap, rock..), nos quatre compères de Huun Huur Tu restent fidèles à leur répertoire et à leurs instruments traditionnels, ne s’accordant que quelques légers écarts (utilisation de la guitare acoustique espagnole) pour proposer une musique à la fois innovante et ancrée dans ses fondements ancestraux. Cet album maladroitement intitulé « Best live » (quel manque d’imagination !) et enregistré lors d’un festival folk en Russie au mois d’avril 2001 en est le plus beau témoignage et la meilleure introduction que l’on puisse rêver. Ayant eu pour ma part la chance de pouvoir applaudir Huun Huur Tu à deux reprises (au festival « Quartier d’été » en juillet/août l’année dernière puis récemment au théâtre du Trianon à Paris), je n’aurai cependant qu’un seul regret : que cet album extraordinaire* mais peu généreux dans sa durée ne soit pas double, tout simplement. Et ce n’est pas la substance musicale qui manquait pour ce faire, croyez moi !