Horseback – Half Blood
Horseback
Relapse Records
Découvrir Horseback est déjà toute une aventure en soit pour les amateurs de drone et de sonorités lourdes et étirées. Alors, pour un « novice » tel que moi, il s’agit carrément d’une expérience des plus insolites, pour ne pas dire « bizarre ». Il est assez malaisé de mettre des mots sur ce monde musical qui nous est offert, fait de riffs et de sons étranges, avec cette voix « dérangeante » qui surnage dans un ensemble au final très cohérent et des plus intéressants. Même si l’engin qui nous intéresse ici date de 2012, c’est dans une écoute intemporelle que vous allez vous plonger en partant à la découverte de ce très fréquentable « Half Blood ». Au détour d’un reportage sur une grande chaîne allemande, j’entends un jour le nom de Horseback et machinalement je le tape sur internet. J’accède rapidement au site officiel du groupe, qui vient à l’époque de sortir l’album « Half Blood ». L’artwork du CD m’intrigue au plus haut point : mais qu’est-ce donc que cet enchevêtrement difforme de créatures cauchemardesques ? Quoi qu’il en soit, l’image illustre bien l’esprit de la musique distillée, qu’on assimile assez facilement lors d’un premier contact, mais qui se complexifie avec bonheur si on la réécoute en détail. Pour la petite histoire, Horseback est un groupe américain qui nous vient de la Caroline du nord aux USA. Créé en 2006, le combo compte à son actif trois albums, a déjà vécu une multitude de changement de line-up durant sa courte carrière, et sa musique se retrouve souvent classée dans la catégorie du drone/sludge. Pourtant, je trouve que celle-ci va bien au-delà en transcendant ces étiquettes. Son leader Jenks Miller joue de la majorité des instruments (on peut affirmer d’ailleurs qu’il est lui-même Horseback, son bébé, son nom d’artiste, son incarnation…), et collabore à de nombreux autres projets. En bref, l’homme est finalement une sorte de génie polyvalent dans son style !
Mais revenons au cœur de notre sujet avec « Half Blood ». « Mithras » est une entrée en matière qui résume à elle seule la teneur de ce que l’on va entendre tout au long des 40 minutes qui vont suivre. Tout commence avec une sorte de « grattement » bestial angoissant, comme si quelqu’un ou quelque-chose (l’entité innommable de la pochette ?) essayait de pénétrer dans une pièce, la vôtre par exemple ! Puis, nous sommes bien vite happés par une batterie et un piano électrique obsédant qui nous entraînent dans un monde mélodique aussi sombre qu’étouffant, mais au pouvoir hypnotique fascinant. La guitare entre en piste avec un son et une harmonie qui vous attrape pour ne plus vous lâcher, et cet air là ne vous quittera pas de la journée. Bien sûr, il y a cette voix démoniaque si particulière qui pourra poser souci dans les premier temps, surtout si vous n’êtes pas habitué à ce genre d’univers hérité du doom et du black metal. Vous verrez que celle-ci se se fond très vite dans l’ensemble, posant le décors envoûtant dans lequel vous évoluerez avec bonheur jusqu’aux ultimes secondes de l’opus.
« Ahriman » est la suite logique de ce que l’on vient d’entendre, avec dès les premières notes, une mélodie qui vous prend à la gorge, renforcée par une batterie qui joue ici un rôle plus qu’important, en imprégnant le titre d’une réelle profondeur avec sa cadence bien pesante. On s’imagine alors solidement harnaché avec des compagnons d’infortune dans une galère qui navigue sans fin, avec un contremaître qui vous hurle dans les oreilles pour bien vous faire comprendre que la traversée sera longue, très longue, et qu’il ne faut pas trop compter sur un voyage retour. En bref, 5 minutes de bonheur musical un peu maso sur les bords !
« Inheritance (The Changeling) » s’invite sur le parcours un peu comme une « escale » dénuée de rythme, mais emplie de sons (des coups de feu ouvrent le bal !) et autres distorsions qui vont crescendo. En fait, c’est tout un travail minutieux du musicien qui est réalisé ici pour mieux nous immerger dans le versant le plus « dronesque » de l’univers Horseback ! Une guitare vient nous « larsener » les oreilles avant de nous dégager une petite série de notes fraîches et guillerettes. Plus de doute à avoir, avec Horseback, nous sommes bien dans un monde fait de contrastes étonnants ! Comme un mirage aperçu au loin, un piano répétitif et une voix murmurée nous ramènent progressivement dans le réel, comme une sorte de réveil après une escapade nocturne et onirique.
« Arjuna » est le morceau qui me fait le plus vibrer, car on rentre dedans dès les premiers accords, et c’est la voix qui nous attire ici avec ses mélopées torturées, avant que la guitare nous déconnecte définitivement du monde qui nous entoure. Retour dans notre vieille galère remplie de sueur, de sang et de souffrance, avec un refrain mortel (« one bye one ») chanté sur deux tons différents, qui semble nous dire que cela n’est que le début de la fin. Si il y a un seul morceau de l’album à écouter pour ceux qui sont encore un peu hermétiques au genre proposé, c’est bien celui-ci, simple et imprégnant, en un mot, génial, voila tout !
« Hallucigenia » est le dernier acte de l’album. La composition s’étend sur une vingtaine de minutes et se découpe en trois parties qui s’écoutent d’une seule traite. C’est un exercice difficile que de décrire cette ambiance musicale fortement orientée « drone », qui nous emmène au terme de notre voyage dans un climat austère (mais qui laisse ici et là entrevoir la lumière !), suspendu et toujours incroyablement cinématique. Horseback nous happe une nouvelle fois tout entier avec ses sons étirés et répétitifs (mais toujours mélodieux) agencés en une progression très bien gérée nous permettant ainsi d’éviter l’ennui, ce qui est toujours un risque avec ce type de musique à la fois extrême et immersive.
L’ouverture de la seconde partie nous martèle les tympans avec une batterie sourde et martiale, qui contraste avec la pureté des nappes d’orgues et de guitare saturée qui tapissent cette merveilleuse fresque. Ici encore, il faut pas mal d’écoutes pour saisir toutes les subtilités de ce véritable « magma sonore organisé » qui nous laisse totalement exsangue, et finalement heureux d’avoir survécu à cette expérience qui ne demande dès lors qu’à être renouvelée.
Horseback est fou (comme Neurosis est fou, comme Sunn O ))) et quelques autres gangs de cette même galaxie sont fous), et c’est un pur plaisir que de rentrer dans cette folie, à boire jusqu’à lie.
Rodolphe Lambert (9/10)
http://horseback.bandcamp.com/
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