Hilary Woods – Birthmarks
Sacred Bones Records
2020
Jéré Mignon
Hilary Woods – Birthmarks
C’est déjà une pochette. Celle d’un ventre déformé par la grossesse, des marques qui s’imposent et cabossent. Des salissures et cicatrices qui restent, tactiles, mais qui perdurent avec le temps. Hilary Woods en a conscience et n’hésite pas à se mettre en scène dans la mutation biologique qu’a subit son corps durant sa grossesse par rapport à la sobriété paysagiste et autarcique de son premier album solo Colt. Ce rendu plus cru, à la limite de la performance actionniste d’un Rudolf Schwarzkogler, déteint fortement sur la teneur de ce Birthmarks. Car ce nouvel album a tout d’une performance confinée et secrète. À cheval entre son Irlande natale et la Norvège, l’ancienne bassiste de JJ72 (qui se souvient encore de ce groupe ?) a joué le jeu de l’introspection, du subliminal et de la mélancolie mais sur un fond plus grésillant, rempli d’amertume tout en ambivalence entre douceur et pulsations sourdes, envolées spectrales et angoisse refoulée. Aidée par son producteur norvégien, l’actif Lasse Marhaug (aussi amateur de black metal que de free-jazz tout en restant dans un registre drone et noise), l’irlandaise se laisse aller à des digressions à la frontière de la noise-music sans jamais la franchir totalement.
On ressentira bien des pulsations que n’aurait pas renier Pharmakon ou Puce Mary mais jamais Woods laisse le déferlement d’électricité quasi érotique et la pulsation cathartique prendre le pas. Les battements sont lourds, artériels même, oui, mais jamais dans une logique d’agression, de provocation et de défoulement morphologique. Hilary Woods préfère un rendu plus feutré, par instant emphatique ou lyrique et d’autres plus discrets comme si on caressait la fraîche chevelure d’un neveu d’une main nerveuse mais assurée. Ainsi, un violoncelle laisse égrener des notes flottantes et spectrales, des silences se font sentir sur des échos vocaux et un saxophone plaintif se permet une aparté atmosphérique au milieu de cet amas globulaire où les marques prennent vie, le corps devient une expression esthétique et sanguine sans omettre le caractère profondément mélancolique, personnel et intimiste de Birthmarks. Car, si on sent que l’irlandaise passe un certain cap dans ses compositions, d’avantage aventureuses, constamment sur le fil quitte à perdre son auditeur sur le chemin, elle ne se plie jamais à la facilité, jouant sur des field-recordings minimaux mais essentiels, échos, réverbérations nombreuses et des écritures aussi spontanées, coordonnées que mûrement réfléchies.
Laissant de côté le piano omniprésent de Colt au profit de parasitages et autres sons plus expérimentaux, sanguins et gangreneux, la chanteuse en délaisse tout autant ce côté pop timide pour mieux plonger dans l’indicible et la difformité sans en virer pour autant dans la surenchère voire la caricature. Birthmarks est un voyage au-delà de l’épiderme, au plus loin des mutations organiques et psychologiques, au plus loin de la psyché… À l’instar d’une Agnès Obel qui avec Myopia invitait à un confinement intérieur, Hilary Woods de par son aridité et son minimalisme séduit, appâte, à se refermer dans un cocon, ni agressif, ni protecteur non plus. Malaise et réconfort réunis… C’est tout autant le confinement d’un futur nouveau-né dans le ventre matriciel que celui d’une mère en proie au doute et au questionnement dans un monde en plein désarroi sociétal et sanitaire qu’en mutation. Quelque chose d’intérieur, au plus profond d’un labyrinthe épuré, de portes coulissantes et de cul-de-sac effervescents, d’où cette ambiance aussi esthétique, pointue que dramatique, qui ne se détend à aucun instant, laissant plus place à un sentiment de vide et d’inattendu. Et, quelque part, cet enfant sur le point de naître de ce ventre déformé, de ces notes espacées et ces crépitations en sourdines, c’est un peu le reflet de nos consciences, perdues, vierges dans un monde dorénavant nouveau… Quelque part, nous ne sommes qu’une marque de naissance de plus…
https://hilarywoodsmusic.bandcamp.com/