Gérard Manset – Opération Aphrodite
Parlophone
2016
Gérard Manset – Opération Aphrodite
Gérard Manset reste un artiste bien connu d’une mince frange du public. Celle-là même qui sait ce que la chanson française de qualité doit au reclus de Saint-Cloud. Même si les amateurs du bonhomme se cachent souvent parmi les amoureux de Bashung, Murat, Ange ou Sheller – artistes qui ont tous collaboré avec l’auteur de « Animal On Est Mal » – force est d’avouer que le statut d’artiste culte, qui fixe le musicien, ne s’avère en rien galvaudé. L’homme, en effet, refuse toute forme de médiatisation : jamais de passages à la télévision (pour quoi faire ?), jamais de concerts (le son n’est pas bon, le public se laisse trop vite distraire, l’exercice s’apparente trop à de la prostitution), le minimum syndical accordé à des entrevues ciblées. Seul compte son travail de studio, pour lui, et pour d’autres (Jane Birkin, Raphaël, Indochine). L’an passé parut une (presque) intégrale, couvrant les années 1968 à 2017. À l’écoute de cette somme, on ne peut que saluer la qualité homogène de l’art musical de ce marginal, également écrivain, photographe et peintre. Homme-lumière qui a toujours vécu dans l’ombre d’un seul tube : « Il Voyage En Solitaire », repris par le regretté Alain Bashung en 2008 sur son chef-d’œuvre ante-mortem, Bleu Pétrole, Manset divise. Sa posture parfois hautaine, ainsi qu’une certaine forme de grandiloquence dans ses productions, lui ont suffi pour s’aliéner une partie du public francophone. Son quasi-anonymat ne l’a naturellement pas aidé, même si on comprend bien ce choix, éthiquement valide.
Et ce n’est pas l’indigeste Opération Aphrodite (2016) qui va lui ouvrir les portes des Zéniths français ! Même pour un fou fondu de la geste de Manset (une forme de mansuétude), l’exercice s’apparente à un « presque ratage », même si on ne peut pas s’empêcher de l’aimer quand même, notre vieil ami misanthrope. Déjà sur papier, l’affaire semble bien mal emmanchée : un « anti-album conceptuel » (sic !), mi-chanté, mi-parlé, mêlant des textes originaux de Pierre Louÿs (Aphrodite, 1896) à des textes écrits par Manset lui-même. Le tout agrémenté de magnifiques illustrations de René Brantonne, issues des jaquettes de couverture de la mythique collection Anticipation des Éditions Fleuve Noir. Un mélange des genres casse-gueule (la poésie symboliste, un graphisme de science-fiction des années 50, la musique blues-rock du septuagénaire) qui aura tout de même bien titillé le fan avant la sortie du disque ! Hélas, la sauce ne prend jamais véritablement même si on ne peut que louer la volonté d’ouverture du projet. Les textes écrits par le concepteur s’avèrent souvent prétentieux, voire inutilement intellos. Des jeux de mots douteux (« Simone s’ignorait et Jean se marrait ») achèvent de rendre le tout un peu superfétatoire. Dommage car l’objet, quant à lui, est véritablement de toute beauté : le graphisme du livret convaincra les plus dubitatifs. On a vraiment raté le chef-d’œuvre. Une mauvaise route a été prise, mais à quel moment ? Certes, tout n’est pas perdu, l’âme de Manset diffuse tout au long des dix-huit pistes-logorrhées de cette opération non commerciale, la prise est parfaite et l’hybris, plus collé au corps que jamais.
Si l’œuvre du bonhomme vous intrigue, plongez-vous plutôt dans ces bains de délices que restent La Mort D’Orion (1970) et Royaume De Siam (1979).
Christophe Gigon
Un bonhomme c’est bien,mais deux, c’est bien mieux! Je vous propose une dernière partie de boules de neigeavec Bonnefemme et bonhomme de neige réunis.