Fish – Raingods With Zippos
Fish
Roadrunners
1999 fut une grande année pour les amateurs du géant écossais. Non content d’avoir effectué un lifting complet de toute sa discographie sur le label Roadrunners records, avec remastérisation et titres bonus, Fish publia celui qui restera très certainement comme le meilleur album de toute sa carrière, le plus abouti et original. Succédant à l’excellent « Sunsets On Empire » (1997) où l’ex-chanteur de Marillion avait déjà mis la barre très haute en termes de compositions et de production, invitant pour assurer cette dernière le perfectionniste Steven Wilson, « Raingods With Zippos » va encore plus loin dans la qualité tous azimuts. Ce dernier est en effet loin de faire dans la redite par rapport à ses cinq prédécesseurs, témoin de la grande forme créative d’un Fish toujours aussi bien entouré, avec une section rythmique rodée (Steve Vantsis à la basse et Squeeky Tewart derrière les futs), Robin Boult et Steve Wilson himself aux guitares, et enfin Tony Turrel et Mark Daghorn de Positive Light aux claviers et programmations. Le vieux complice Mickey Simmonds (Camel, Mike Oldfield, Renaissance et bien d’autres) n’est bien sûr pas absent de la fine équipe, assurant ici quelques parties qu’on remarquera aisément vu la patte et la sensibilité particulière de l’artiste. Quelques musiciens additionnels viennent compléter ce casting luxueux et déjà bien rempli. « Raingods With Zippos » est composé de 6 titres indépendants, sans continuité entre eux, et chacun avec son style propre. A contrario, la seconde face de l’album contient quant à elle une suite de 25 minutes divisée en 6 parties parfaitement enchaînées, que Fish qualifiait lui-même à l’époque comme sa vision d’une fresque moderne de rock progressif des années 90. Et on peut dire aujourd’hui encore que le pari était plus que réussi !
Après une longue introduction de piano solo signée Mickey Simmonds, le disque démarre fort sur le puissant et joyeux « Tumbletown, avec un poisson en très grande forme vocale, et où Steve Wilson riff comme un damné et nous balance un sublime chorus psychédélique, avant que le morceau ne se termine comme il avait débuté. Dans la foulée, « Mission Statement », avec son tempo rapide, duo enfiévré de piano/orgue Hammond et chant teinté sixties, se veut plus rock’n’roll et s’avère particulièrement entraînant. Puis vient « Incomplete », le premier single de l’album, un sublime duo acoustique avec Elisabeth Antwi, superbe chanteuse au feeling soul, et à la voix chaude et suave. L’émotion est au rendez-vous, pour notre plus grand plaisir. « Title cross » poursuit dans la voie de la douceur avec ses arpèges de guitares acoustiques, ses percussions envoûtantes et son violon celtique, rappelant quelque peu l’atmosphère mélancolique du mémorable « Fortunes Of War » de l’album « Suits » (1994). Puis le calme fait place à la rage de « Faith Healer », reprise d’un grand classique du Sensationnal Alex Harvey Band, déjà entendu en live sur la face B du single « Big Wedge » (pour les collectionneurs !), mais ici boosté par accords puissants de Steve Wilson. Cette première section de l’album s’achève sur les 7 minutes de douce rêverie du magnifique « Rites of passage » et son étonnant final abstrait, une chanson composée par Fish et Mickey Simmonds, avec des arrangements de cordes et des claviers à vous refiler le frisson. Incontestablement la perle mélodique de l’album, à rapprocher de l’ambiance onirique de « Mercy Street » de Peter Gabriel, même sensibilité, même niveau d’inspiration musicale !
Arrive enfin « Plague Of Ghosts », le plat de résistance de cet opus hétéroclite, qui s’étend donc sur ses 25 dernières minutes, en regroupant 6 chansons distinctes composées par le Big, mais qui sont ici recompilées, restructurées et remixées pour former une seule et longue fresque passionnante sous la houlette de Positive Light. Oui, il s’agit bien des mêmes qui ont « commis » le sous-estimé « Tales From An Engine Room » de Marillion. Mais pas de panique à avoir chez les puristes du rock, Positive Light ne nous refait pas le coup ici du remix techno, mais plutôt un travail d’assemblage et de recomposition assez extraordinaire, avec des parties instrumentales de toute beauté signées par le duo lui-même. Après une longue introduction atmosphérique, le titre démarre très fort avec « Digging Deep, sorte de croisement entre « What Colour Is God » (rythmique groovy, moderne et ennivrante) et le meilleur Porcupine Tree des années 90. Les changements de climat ponctuent cette suite ambitieuse, de la complainte de « Chocolate Frogs » sur fond d’ambiance électronique marécageuse, en passant par « Waving At Stars » et sa rythmique empruntée au style jungle alors en vogue. Fish nous entraîne ici progressivement vers un nirvana musical, dont le point culminant est à mon sens le regain d’optimisme du fabuleux « Raingod’s Dancing », agrémenté d’une magnifique séquence de piano et d’un solo de Steve Wilson renversant. Le seul petit bémol est à mon sens « Wake-Up Call », la conclusion respective de cette pyramide de sensations et de cet album fabuleux, qui méritait un peu mieux que ce final au feeling directement emprunté à un « The Sky Moves Sideways » de Porcupine Tree, très joli certes, mais un peu « mollasson », surtout placé derrière le climax dantesque que représente le jubilatoire « Raingod’s Dancing » (bon, j’arrête là avec les superlatifs !).
Avec ce « Raingods With Zippos », Fish publiait ni plus ni moins que son dernier (et à mon avis ultime) chef-d’œuvre après « Vigil In A Wilderness Of Mirrors » (1990) et « Sunsets On Empire ». Car malgré le talent d’écriture et la générosité du bonhomme, notre artiste engagé ne réussira jamais à refaire aussi fort dans le sillage de « Raingods », pas même avec le très bon et bien accueilli « 13th Star » (2007), que Fish a miraculeusement publié après sa longue traversée du désert : gros soucis financiers, problèmes avec sa maison de disque, maladie qui aura sévèrement altéré sa voix (conséquence de son abus d’alcool et de tabac ?), décès d’amis proches, etc. Malgré tout, Fish n’a rien perdu de son aura et de son fort potentiel émotionnel, alors espérons que son très attendu « A Feast of Consequences », en gestation depuis le début de l’année 2012, me donnera tort quant au verdict exprimé quelques lignes plus haut.
Philippe Vallin (10/10)
http://fish-thecompany.com/
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