Ferrochrome – Medusa Water
Meshwork Music
2017
Ferrochrome – Medusa Water
Ferrochrome est un groupe tout récent, un duo plus exactement, à la fois réel et virtuel. Réel parce qu’il vient de sortir un album et virtuel parce que ce duo de musiciens ne s’est jamais rencontré dans la réalité. Tout s’est fait par internet, leur rencontre virtuelle, leurs échanges d’idées, la mise au point de leur projet commun, les transferts de fichiers de sons et de musiques, tout ! Cela peut paraître étonnant, voire incongru, mais à l’heure d’internet et des transferts, gratuits, faciles et sans aucun problème, de gros fichiers audio, beaucoup de groupes se forment maintenant ainsi. On est certes loin du mythe, encore vrai cependant, de la bande de copains qui forme un groupe, « pour voir » ou sérieusement. Mais cela permet à ce genre de groupes nouvelle manière de maintenir son attention sur l’essentiel : faire ensemble de l’excellente musique. C’était la mission, par principe, du duo Ferrochrome, et c’est peu dire que la mission a été menée à bon terme ! L’album est aussi étonnant que passionnant. D’ailleurs le simple fait qu’André Schmechta, directeur de Meshwork Music, ait sorti Medusa Water sur son label en dit déjà très long sur la qualité de l’album. Cependant l’honnêteté m’oblige à dire qu’André Schmechta, par ailleurs leader de X-Marks And The Pedwalk dont j’ai récemment chroniqué ici même les deux derniers albums, n’a pris aucun risque en signant Ferrochrome. En effet, ses deux membres ne sont pas de sympathiques débutants plein d’allant, ce serait plutôt carrément du lourd ! De fait, André Schmechta ne s’est pas lancé dans l’aventure Ferrochrome comme ça. Les deux gars de ce duo, en bon vieux routier qu’il est des scènes électro, il les connaissait bien !
D’un côté, donc, Aidan Casserly, vivant en Irlande, à Dublin, et chanteur tout à fait impressionnant (une voix à la Jimmy Sommerville, et je n’exagère pas) de Empire State Human, et de l’autre Dirk Krause, basé à Düsseldorf, en Allemagne, et claviériste très féru de gros synthés d’Armageddon Dildos. Pour vous donner une bonne idée des groupes en question, disons simplement qu’Empire State Human est la tête de pont très vénérée là-bas de l’electro irlandaise (ils ont sorti un single intitulé Melancholic Afro en participation avec le Yamo de l’ex-Kraftwerk Wolfgang Flür) et qu’Armageddon Dildos a conquis depuis longtemps, dans le domaine de la musique industrielle, son statut de groupe culte à la Rammstein, Front 242, Nitzer Ebb, Coil, Ministry, Revolting Cocks ou encore Einstürzende Neubauten. Quand je vous disais que ces gars-là, c’est du lourd… Ce qui est du lourd aussi, ce sont les synthés employés par Dirk Krause pour mettre en musique la voix d’Aidan Casserly. En effet, dans son studio aux dimensions XXL, les amateurs de synthés reconnaîtront facilement deux monstres déjà mythiques, un Arturia MatrixBrute au son analogique maximal et aux possibilités timbrales astronomiques, et plus affolant encore, l’énorme polyphonique 8 voies de chez Schmidt, quelque chose d’ultime dans le genre, du type plus énorme que ça tu meurs. À côté de ces deux monstres hallucinants envahis de potards et de curseurs, le gros modulaire Eurorack de Dirk fait presque anecdotique, c’est vous dire !
Mais il ne suffit pas de posséder dans son studio des synthés à tomber par terre, encore faut-il de bons albums avec. Alors soyez tout de suite rassurés, Dirk Krause, son matos, il sait le faire sonner du feu de dieu. En fait, en la matière, Medusa Water est une véritable démonstration de savoir-faire. Que ce soit en termes de séquences de toute beauté, de rythmes étourdissants, de suites d’accords élégantes ou d’atmosphères sonores savamment tissées, Dirk Krause nous ravit et nous étonne constamment. Et c’est évidemment un univers musical rêvé pour la voix d’Aidan Casserly, qui s’y est senti pousser des ailes, et qui y plane et virevolte avec une grâce et une force peu communes. Il est du plus réjouissant d’entendre s’allier aussi plaisamment les styles, pourtant très éloignés, de l’electro à la Aidan et de l’industrial à la Dirk. Le mariage n’était certainement pas gagné d’avance. Il est clair qu’ils ont parlementé dur pour que le style « soft and sweet » d’Aidan ne se fasse pas étouffer pas le style « hardcore » de Dirk, pour trouver un style intermédiaire qui soit un reflet sans amoindrissement des deux styles à la fois. Le travail bien mené paie toujours, et Medusa Water est sans contredit possible un excellent album, vif, dense, plein de vie, de mélodies et de rythmes. C’est également un album aux climats très originaux, bourré de surprises harmoniques et assumant avec une grande fierté son statut d’opus atypique. Allez, vous m’avez compris : j’adore !
Frédéric Gerchambeau