Fange – Purge
Throatruiner Records
2016
Jéré Mignon
Fange – Purge
Dans une boite d’emballage trop petite, tout se condense, écrasé, malaxé, compartimenté, compressé. Jusqu’à la nausée, cette fabrication à la chaîne finit par atterrir dans un rayon aseptisé entre les produits de la mer et le saucisson en promo à – 5%. Ce n’est pas qu’une barquette sous cellophane, c’est un conditionnement, un reflet de vie. Des viscères dans un cadre trop petit, un code-barres scanné par la technologie 2.0. Le marasme prégnant, dégueulant et saturé, on l’attrape, sans vraiment le fuir, sans vraiment le chercher non plus. Du larsens, de l’abrasif, double couche d’épaisseur, Fange est la représentation sous cadre de ces amas de viandes. Une production tellement imposante qu’on oublie qu’il n’y a pas de basse… Seulement une guitare et autres triturations noise alors que la voix de diabétique en plein anévrisme de Matthias Jungbluth (patron de Throatruiner et hurleur dans Calvaiire) dépeint avec crachats et contorsions un mal-être… comment dire… désinhibé.
Si le premier EP du groupe, Poisse, était aussi impersonnel que sale, aussi bruitiste que simpliste avec toutefois une bonne tenue de route sur la durée, Purge, premier album voit, avec l’arrivée de ce pantin désarticulé qu’est Matthias, la rage transpirer entre deux flasques de whisky. Un regain d’intensité, de boue et de flotte, voire d’humanité dans sa cruauté. La Grande Bouffe version sludge en somme. Du sang, du boudin, de la chaleur, des morceaux qui se fissurent et pètent comme une vilaine cloque trop remplie. Sous ses faux-airs de Entombed ralenti (des fois, ç’en est frappant), Fange distille, comme un alcool prohibé de Bourgogne, une hargne de terrine de chasseur qui ne démord pas d’un ongle sous un poil. Une violence toujours sous-jacente, pernicieuse et grasse, oui, préférant compter le nombre de coups reçus au lieu de tirer en rafale. Et ce ne sont pas les brèves accélérations punk qui contrediront le constat. Fange, c’est du marécage qui sort de son lit à force d’engorgement. Un reflet comme je disais plus haut, le marasme d’un quotidien amorphe dont l’image lacanienne se résout à une barquette sous vide de cervelle d’agneau au supermarché le plus proche. Ça peut paraître peu ragoûtant mais une fois cuit, il y a toute une palette de saveurs acres libérées du cadre stérilisé de présentation. Un album coup de boule dont les senteurs prennent d’avantage de goût lors du rythme chaotiquement lent d’écoute. En gros, et pour faire court, Purge vous fera plonger dans ce que nous sommes : de la boue, de la bouffe, des écorchures…