Étienne Daho – Tirer La Nuit Sur Les Étoiles
Barclay
2023
Franck Houdy
Étienne Daho – Tirer La Nuit Sur Les Étoiles
Dès l’ouverture de l’album, réalisé avec son complice Jean-Louis Pierot (Bashung, Brigitte Fontaine, Miossec, Marianne Faithfull) et le groupe Unloved formé par Jade Vincent, Keefus Ciancia, David Holmes, on comprend que le son de ce dernier sera radicalement différent de Blitz, si dark, mat et dense.
Ici, c’est un piano tout en volutes qui égrène les premières notes de ce nouvel opus. Cette ouverture fait la part belle aux chœurs tellement typiques de la patte Daho, aux appuis de cuivres et aux sonorités sixties. Rien à redire. On découvre « Heureux », une chanson scintillante de lyrisme qui, chose suffisamment rare en piste une pour être soulignée, s’avère être un duo. C’est donc en compagnie de Vanessa Paradis qu’Étienne nous invite à la découverte de sa nouvelle production. La rencontre est évidente et l’alchimie des deux voix fonctionne à merveille. Fusion impeccable. Suaves et douces, elles s’imbriquent et se mêlent naturellement. Cette première chanson inspirée par une anecdote liée à la romance entre Ava Gardner et Frank Sinatra est l’illustration de cette folie amoureuse. À noter la présence de deux batteurs, Christian et Paul Fradin, jouant simultanément cette folle cavalcade et lui donnant une tension trépidante.
« Boyfriend » qui pourrait sembler au premier abord assez convenue, s’avère finalement être beaucoup plus surprenante et élaborée que prévue. Avec sa mélodie imparable et si originale, comme c’est souvent le cas avec les chansons du groupe Unloved que Daho interprète. Ce titre a tous les atouts d’un standard. La superposition de la voix de Lou Lesage sur les couplets amplifie encore davantage la ligne de chant si envoûtante. On retrouve ici encore cette patine années soixante dans les arrangements, époque musicale que l’artiste adore voire vénère, mais également un son très jazzy. Après avoir flirté avec les ombres de Syd Barrett et du Velvet pour l’album Blitz, on se dit qu’il sera aujourd’hui plutôt question de convoquer les influences de Burt Bacharach et Dionne Warwick. Unloved a aussi offert à Daho le superbe « Comme Deux Aimants ». Très épuré au démarrage, une simple plage d’orgue, il s’épaissit savamment jusqu’au refrain. L’entrée de la ligne de basse avec ce son cinglant et, là encore, l’originalité de la mélodie vocale qui trouve les quelques notes achevant de faire de ce titre un incontournable, donnent à entendre le travail d’orfèvre mis en œuvre dans l’arrangement soigné et inventif de ces nouvelles chansons. « Les Derniers Jours De Pluie » nous remet en présence d’un Daho plus intime, bien plus connecté à celui que nous connaissons et aimons depuis des décennies. Quatre morceaux sont passés et déjà l’on se demande quel est le secret de production pour qu’ils parviennent à s’enchaîner si naturellement en étant si différents ? « Virus X », titre très clubbing sorti avec Italoconnection en 2021 durant le confinement, est donc de ce nouveau disque. Apparemment, Daho y tenait beaucoup et, jugeant qu’il était passé trop inaperçu lors de sa sortie en single, voulait lui donner une seconde occasion de séduire. Pari réussi en ce qui me concerne. Habillé d’un nouvel arrangement, que personnellement je préfère de beaucoup à sa première version que je trouvais à la fois trop linéaire et manquant de relief, la version proposée par Jean-Louis Pierot apporte les touches épicées dont elle avait besoin pour nous embarquer. Assurément, le riff de guitare disco à la Nile Rodgers fait son effet.
« Respire », chanson de post-confinement, composée par Pierot et écrite par Daho évoque davantage certains titres de l’époque Corps Et Armes, album qui fait définitivement parti de mon Panthéon personnel. Avec son orchestre à vous dresser les poils, enregistré aux studios Abbey Road, ce titre est un point culminant de ce nouvel opus. « 30 Décembre » qui arrive un peu plus tard, semble entretenir un lien étroit avec celui-ci. Vient ensuite « Le Phare », adaptation française d’une chanson extraite de la pièce Le balcon de Jean Genêt, mise en scène par Sandra Gaudin, amie d’Étienne. C’est à mon sens la plus belle de ce disque. Sensible à souhait, la voix de Daho y est d’un velours incroyable, le texte est à la fois le joyau et l’écrin « Quelle est la part de chance du divin et la part du hasard de l’instinct », on en redemande, tout comme la très fugace ligne d’orgue à la Procol Harum sur le pont. Autre duo de l’album avec Jade Vincent des Unloved, sur une de leurs compositions, « I’ve Been Thinking About You » sonne tel un vieux standard anglo-saxon biberonné au Velvet et aux Mamas And The Papas. L’ambiance très planante, la rythmique sourde et les guitares réverbérées affirment totalement cette empreinte temporelle. Avec son électro-disco dark plaqué sur un rythme syncopé qui contraste avec le chant plutôt étiré et lent, « Les Petits Criminels » parvient malgré tout à rester un titre très dansant à l’étrangeté intéressante. Le disque s’achève sur « Roman Inachevé » même si étrangement cette composition sonne comme une ouverture. Loin du format classique trop souvent imposé à la chanson, on déambule ici tel un spectateur immobile devant un écran de cinéma, écoutant la BO d’un film en noir et blanc, captivé et ému. Morceau de bravoure, original et tout en cordes, il distille une tension ténue et nous laisse non sur le mot FIN, mais bel et bien sur un À SUIVRE au parfum d’impatience.
Tirer La Nuit Sur Les Étoiles est un voyage à travers le cheminement discographique de Daho. On y retrouve sans doute, sans que cela soit volontaire, des touches de nombre de ses anciens albums. Tous les styles se côtoient, se répondent et se mêlent pour donner vie une nouvelle fois à cette pop si luxuriante et métissée. Ce nouvel album gorgé de collaborations et de participations donne à entendre la soif de musique qui l’anime encore et toujours. Du haut de ses plus de quarante ans de métier, il conserve toute sa fraîcheur, sans doute grâce à son goût de l’innovation et sa curiosité passionnée qu’il sait mettre à profit dans ses créations. D’album en album et de collaboration en collaboration (Jane Birkin, Jeanne Moreau, Lou Doillon, Dani, Brigitte Fontaine, Daniel Darc, Françoise Hardy, Unloved…), il poursuit son chemin, à la fois mentor pour plusieurs générations ainsi qu’éclaireur inlassable et volontaire. Il continue à questionner les musiques et à trouver en elles de nouveaux bourgeons à faire fleurir.