Esthesis – Out Of Step
Misty Tones
2025
Palabras De Oro
Esthesis – Out Of Step

Après avoir dégusté Path Of Ilya puis corrigé mon daltonisme avec un Pryzme, je vais finir par me spécialiser dans le retour aux affaires des groupes français que j’ai déjà chroniqués. Cette fois-ci, ce sont les Toulousains d’Esthesis qui sont venus récurer mes cages à miel pour me proposer leur nouvelle progéniture, à savoir Out Of Step. Ils ont pris leur temps (mais ne l’ont pas perdu) pour donner un successeur à l’excellent Watching Worlds Collide sorti il y a déjà trois ans. En fait, Esthesis en a profité pour écumer d’abord les clubs obscurs puis, en pleine lumière, les prestigieuses scènes européennes de prog comme le Poppodium Boerderij, leurs voisins du Ready For Prog, les défunts Night Of The Prog et Prog en Beauce, ainsi que le plus éclectique Motocultor Festival. Ce choix a donné à la formation une expérience, une reconnaissance et surtout une envergure qui l’ont propulsée au rang de pilier du prog tricolore. Il restait à savoir si ces acquis allaient également être favorables à cette nouvelle production en studio.
Disons-le de suite, Out Of Step ne révolutionne pas le style d’Esthesis. On a même plutôt l’impression d’un retour aux sources affirmé avec, par exemple, la disparition des expérimentations jazzy. C’est donc à un opus totalement assumé « prog » auquel on a affaire. Il se teinte régulièrement d’ambient ainsi que de touches d’electro, voire d’indus, principalement impulsés par les claviers d’Aurélien. L’arrivée de Rémi Geyer à la six cordes a apporté un regain de puissance au son d’Esthesis fort appréciable. Les parties vocales de Mathilde Collet sont plus prégnantes que précédemment, se posant plus régulièrement en alter ego de celles d’Aurélien Goude.

Quelques bips établissent la « Connection » avec cet album très consistant pour un premier morceau, illustrant immédiatement mes propos ci-dessus. Comme souvent avec Esthesis, le rythme semble hésiter entre alanguissement et groove. Le chant éthéré et les arpèges cotonneux de claviers d’Aurélien sont, pour le coup, bien encadrés et soutenus par les riffs très tranchants de la guitare de Rémi et les apports vocaux de Mathilde qui donnent plus de caractère à un titre faussement lancinant. La transition très sèche de gratte sublimée par la stéréo me rappelle furieusement Porcupine Tree. Le temps d’un flash back siffloté par Aurélien (il aurait fait un excellent arbitre ah, ah, ah), elle nous emmène vers un finish très musclé. « The Frame » repart sur le même rythme avec la solide basse de Marc Anguill qui se montre plus aventureuse. Le groupe affirme depuis toujours vouloir proposer des ambiances cinématographiques. C’est particulièrement prégnant quand il a recours à de longues notes en demi-ton pour créer des atmosphères inquiétantes, genre film d’horreur. Ici, c’est au début du solo de guitare, en contrepoint du jeu de batterie bien technique d’Arnaud Nicolau. On retrouve cet artifice sur « Out Of Step » et « The Storm », à la guitare et aux claviers… et ça marche, témoins les frissons qui me parcourent à chaque fois ! Les deux courts instrumentaux d’ambient/electro, « Fractured #1 » et « Fractured #2 » , figurent judicieusement en traits d’union des trois parties du disque… et là, je me dis que si un jour je me fracture le fémur, je n’aurais qu’à relire cette chronique pour positiver puisque des fractures peuvent être judicieuses (lol). Le groove gagne sa bataille contre l’alanguissement pour la pièce « Out Of Step », impulsé par cette basse swingante, toujours prête à provoquer le balancement des corps. La guitare se fait lourde et omniprésente alors que les claviers deviennent hypnotiques. L’inquiétude remplit l’espace sonore sur un break, prétexte à un à regain de puissance avant que le groove ne retrouve sa place d’écrin pour ce riff pesant et de belles parties de claviers. L’alanguissement prend sa revanche pour un « City Lights » planant, sous l’influence du chant d’Aurélien et de la guitare de Rémi plus aérienne. Mais voici que « Circus » tombe à pic pour apporter un vrai coup d’accélérateur fort bienvenu. Ce morceau rapide, sous l’impulsion d’une rythmique de batterie très dynamique, est mon titre préféré. Certes, j’aurais aimé un chant plus énergique sur les couplets, mais le refrain au parfum pop est très plaisant. On y perçoit cependant une ambivalence entre légèreté et tragédie, grâce à l’apport des chœurs, preuve s’il en est que Esthesis est passé maître dans la création d’atmosphères antagonistes, en particulier sur cet album. On finit par « The Storm », une pièce épique de toute beauté sur laquelle les membres du groupe sont au diapason. Les différents rythmes et enchaînements sont parfaits, de l’intro sur un credo de claviers hypnotique jusqu’à sa montée finale emballante (avec encore ce fameux demi-ton de clavier dérangeant), en passant par sa partie médiane à la fois très musclée et malsaine. C’est sur ce titre que l’apport vocal de Mathilde est le plus important et indispensable. « The Storm » semble être la conclusion parfaite à l’opus, mais il y a « Abyss » en bonus qui est un instrumental lent et massif, méritant bien plus que le qualificatif de bonus, car pouvant être considéré comme un excellent titre de clôture de l’album également. Ce qui est frappant, c’est que les parties instrumentales permettent, autant que les textes, de transmettre une certaine incompréhension, voire une sidération, envers le monde qui nous entoure et dont la trajectoire ne laisse présager rien de bon. Ces paroles sincères d’Aurélien habillent d’un certain désespoir une musique dont l’inquiétude transpire à chacune des notes. La superbe jaquette grisâtre donne dans le même registre, préfigurant le ton sombre de l’album qui sera perçu dès sa première écoute.

Étant donné l’envergure du groupe, la sortie d’un album d’Esthesis est devenue un événement. À cet égard, Out Of Step possède tous les éléments pour recevoir un accueil particulièrement positif de la part de sa fan base… et bien au-delà. L’équilibre entre technicité et création d’atmosphères abyssales est parfait. Le combo a progressé pour atteindre sa plénitude, d’autant plus que c’est également le cas en live. S’il est déphasé (Out Of Step) envers le monde qui nous entoure, il ne l’est absolument pas envers la qualité de sa production musicale, bien au contraire. Et ça, c’est une excellente nouvelle.
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