Espace Impair – Valse En U
Booster Music
2024
Lucas Biela
Espace Impair – Valse En U
Espace Impair, c’est un trio qui cherche à faire coexister la liberté du jazz et la structure de la musique classique, dans ce que l’on a appelé dès la fin des années 50, le third stream, ou troisième courant en français. Empruntant à l’un et à l’autre dans leur jeu, ils créent une musique à la fois onirique, dynamique et contrastée. Fruit d’un long travail de maturation (la formation existe depuis une génération déjà), Valse En U est un premier album où se côtoient dynamisme et sensibilité. Issues de la collaboration de Gérald Lacharrière à la flûte traversière, Matthieu Buchaniek au violoncelle, et Frédéric Volanti au piano et au mélodica, ce sont des compositions aux ambiances variées qui nous sont servies. Ainsi, aux côtés de morceaux rêveurs (« Mer Morte », « Malinconico », « Silencio »), l’on retrouve des titres bouillonnants de vitalité (« Piazza Di Spagna », « Segolene Swing », « Toundra », « Uzivaj »). Par ailleurs, nos Lillois nous invitent également à découvrir des pièces plus contrastées (« Wanderer », « Valse En U »). Quelque soit les univers proposés, les improvisations sont fréquentes, comme pour apporter une touche de mystère ou laisser l’esprit vagabonder.
Sur les morceaux aux ambiances ambivalentes, c’est le piano qui donne le ton, par ses attaques tour à tour solaires et ombragées. D’abord rêveuse dans sa campagne, on voit ainsi la flûte revêtir un caractère trempé (ces sons « enroués ») quand il s’agit de se rendre dans le milieu urbain plus agité. C’est alors un « Wanderer » aux humeurs changeantes que l’on suit. De même, entre douleur et étonnement, le violoncelle surprend également dans cette pièce par sa versatilité. Dans le même ordre d’idée, en pleine « Valse En U », les notes enjouées du piano et de la flûte se font plus circonspectes quand se joint le violoncelle perturbé. A ce moment-là, c’est ce dernier qui devient le centre de toutes les attentions.
Dans les pièces rythmées, on se trouve aspiré dans un vortex étourdissant. Chacun y va de la vélocité de ses doigts pour offrir un paysage sans cesse en mouvement, mais dont les belles couleurs sont rehaussées par les magnifiques accords qui se bousculent et un thème principal plein d’aplomb. Cependant, dans ces chevauchées fantastiques, à la manière des pièces ambivalentes mais sans que le rythme n’en soit affecté, des contrastes peuvent nous saisir. Ainsi, dans « Toundra », quand le violoncelle broie du noir, c’est la tourmente qui fait suite à l’émerveillement. En effet, il ne faut pas oublier que dans ces plaines, aux paysages à couper le souffle, est associé un climat rude. « Piazza Di Spagna » présente également ce double visage. A la flûte enchantée peut succéder un piano effrayé, comme si un obstacle survenait après la surprise. Ici, on pourrait penser aux 135 marches de marbre qui relient la place à l’église Trinita dei Monti. Également remarquable par son dynamisme, « Uzivaj » surprend par une utilisation percussive des instruments ainsi que par une digression harmonique quasi bartokienne (Bartók n’était-il d’ailleurs pas un des pionniers du « third stream » ?). Enfin, sur une flûte pressée tel le lapin blanc, « Segolene Swing » met en exergue la complicité qui lie les trois musiciens.
Quand les compositions prennent des tons rêveurs, en revanche, c’est la mélancolie qui domine, l’émerveillement étant sous-tendu dans les traits peu appuyés mais agréables que dessinent les notes. Ainsi, quand on part pour la « Mer Morte », les sons flottent dans le ciel pour mieux reproduire l’atmosphère paisible qui règne près de cette vaste étendue d’eau. Avec « Malinconico » (mélancolique en français), le violoncelle est effectivement dans des tons gris. Cependant, avec toute la profusion de thèmes songeurs, c’est davantage l’adjectif « onirico » qui viendrait à l’esprit. Et, à mi-chemin, quelle belle initiative a eu Gérald de reproduire à travers son jeu le battement d’ailes d’oiseaux, comme pour signifier la nature aérienne de la composition. « Silencio », dans une brume qui se dissipe peu à peu et des notes de piano s’égrenant comme des larmes de nostalgie, conclut l’album en beauté.
Ainsi, Espace Impair nous offrent une œuvre à la fois riche et harmonieuse. C’est grâce à des techniques de jeu variées, un savant équilibre entre improvisation et écriture, et une complicité sans faille qu’ils y parviennent. En outre, à travers leur musique, on peut noter une grande compréhension des différents courants musicaux maniés et des liens qui peuvent les unir.
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