Emily Jane White – They Moved In Shadow All Together
Emily Jane White est une voix relativement récente du folk américain (un premier album en 2008) et l’une des plus belles aussi faute, peut-être, d’être la plus authentique et la plus fidèle au genre par sa démarche musicale ? On verra pourquoi avec ce nouvel album dont le virage stylistique en décevra certains et, dans le même temps, attirera sans doute d’autres oreilles, qui sait ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Sur ce cinquième opus, la voix chaude est superbe comme toujours, entre Annie Haslam et Agnès Obel, et les textes toujours aussi engagés et dénonciateurs des maux de nos sociétés, telle une petite sœur de cœur de Joan Baez. Mais pour le reste, surprise, tout a changé ou presque : piano et guitare acoustique ont presque disparu ou sont noyés dans les effets, la réverb, les percussions, le doublage de la voix (chorus) et une production surchargée l’éloignant de la tonalité folk des albums précédents pour rapprocher celui-ci du courant heavenly genre Enya ou Agnès Obel (l’ambiance et le timbre de voix pouvant amener à les confondre sur certains morceaux, tant ils sont similaires !).
Ce virage électrique ambient vers le style Cocteau Twins, plus heavenly que gothique (bien que les textes restent sombres…) rend ce nouvel opus à la fois plus « contemporain », et très éloigné du folk acoustique des débuts. Des mélodies toujours magnifiques, angéliques et romantiques (« Antechamber » et d’autres titres se rapprochent des tubes classiques d’Enya, la tonalité celtique en moins), mais l’emballage a changé sous ces couches superposées de voix traitées et de percussions presque tribales, que la réverb systématique rend parfois envahissantes. Et l’on se prend à regretter la pureté et la simplicité sans affect des albums précédents, les fabuleux Dark Undercoat, Victorian America, puis Ode to Sentience, du même niveau que les nouvelles « grandes voix » du folk contemporain, Alela Diane, Julia Stone, Laura Marling, etc. Ici, même sans l’orgue liturgique, la tonalité d’ensemble et les relents ambient sont presque gothiques (en plus lumineux quand même ; on disait heavenly un peu plus haut) et rendent cet album assez proche du Ceremony d’Anna von Hausswolff (chroniqué aussi dans nos pages) ; on voit si on est loin du folk pur et tranquille des premiers albums.
Un ou deux titres dans cette atmosphère cotonneuse (qui a dit « endormie » ?) auraient été les bienvenus, à titre d’ouverture vers un son plus « moderne », mais voilà : l’album entier baigne dans la même uniformité brumeuse à la Cocteau Twins, alliance de réverbération ambient ou gothique (au sens de cathédrale) et de la voix alanguie d’Emily Jane, doublée, démultipliée, noyée dans un tapis de percussions de guitare électrique et d’orgue planant ou de cordes qui perdent quelque peu le contenu des textes, au profit du « beau son » peaufiné en studio.
Au final, les fans d’Enya ou d’Agnès Obel se retrouveront en terrain connu avec cet album mais, si vous souhaitez découvrir les (nombreuses !) qualités d’Emily Jane White, sa voix superbe et la beauté de ses textes engagés, mieux vaudrait peut-être l’aborder par un autre album, par exemple ceux cités plus haut dans cette chronique. Et tout bien réfléchi, on se demande d’ailleurs si, pour que cet album-là atteigne ou retrouve la lumineuse beauté de ses prédécesseurs, il ne suffirait pas qu’Emily Jane nous en concocte tout simplement une version unplugged. Moins de percussions (pas toujours nécessaires) ni d’effets de studio trop appuyés, et une voix enfin débarrassée de cet excès de chorus et autres réverbs qui la noient bien plus qu’ils ne la servent, et cet album-là serait parfait c’est-à-dire : aussi parfait que l’étaient les précédents.
Jean-Michel Calvez