Elbow – Flying Dream 1
Polydor Records
2021
Thierry Folcher
Elbow – Flying Dream 1
Il est grand temps pour moi de revenir faire un petit tour chez la famille Elbow. La bonne raison en revient à la qualité de ce tout nouveau Flying Dream 1, bien plus accrocheur que leurs précédentes sorties. Car voyez-vous, je m’étais un peu lassé de l’équipe à Guy Garvey et à la répétition de chansons sans réelle marche en avant (c’était du moins mon impression). Un surplace fatal à mon attachement pour cette formation originaire du nord de l’Angleterre et en exercice depuis plus de vingt ans. Et vous ne pouvez pas savoir comme je suis content de retrouver leur univers onirique et chaleureux. Je me demande maintenant si tout cela ne venait pas de moi et de mon insatiable besoin de nouveauté. Ma fidélité inconditionnelle en musique ne concerne qu’une poignée d’artistes pour lesquels, et c’est là tout le paradoxe, j’autorise souvent de véritables et coupables stagnations. Allez donc comprendre les versatilités du public et son manque de reconnaissance. Autour des années 2000, Radiohead dominait les débats avec un OK Computer (1997) à l’unanimité incontestable mais qui sonnait comme une corne de brume tonitruante au milieu d’un océan de vide. Et puis en 2001, une rumeur nommée Elbow va se propager dans toute l’Europe avec Asleep In The Back, un album délicat, plein de trouvailles et de promesses. Ensuite en 2003, Cast Of Thousands confirmera la rapide ascension du groupe et l’intérêt grandissant auprès du public et des médias. La consécration, elle, viendra en 2008 avec The Seldom Seen Kid, un superbe album couronné d’un Mercury Prize amplement mérité. Alors c’est sûr, lorsque l’on côtoie les étoiles, c’est plus facile de dégringoler que de se maintenir au sommet. De dégringolade il n’y en aura pas mais de passage dans une autre dimension, non plus.
De 2011 à 2019, quatre autres albums vont continuer à creuser le beau sillon musical même si j’ai le sentiment qu’à ce moment-là, Elbow est un peu rentré dans le rang. Par conséquent, ce Flying Dream 1 arrive à point nommé pour redonner du lustre à une formation méritante et bourrée de talent. Tous ceux qui connaissent Elbow savent à quel point son nom est associé à la voix de Guy Garvey, proche de celle de Peter Gabriel. Pour l’anecdote, Il faut savoir que l’antique chanteur de Genesis a retenu « Mirrorball » (un titre de The Seldom Seen Kid ) pour figurer sur Scratch My Back, son album de reprises de 2010. Mais un chant, aussi beau soit-il, ne doit pas occulter la qualité des compositions et la contribution des musiciens dans le processus de création. COVID oblige, les quatre membres du groupe ont commencé par travailler « à la maison » avant de se retrouver au Théâtre Royal de Brighton pour perfectionner et enregistrer les chansons dans les conditions d’un live sans public. Situation cocasse qui associe une préparation moderne et ultra informatisée avec une finition à l’ancienne comme on n’en voit presque plus de nos jours. A l’exception d’Alex Reeves à la batterie, c’est le line-up d’origine, composé des frères Potter et de Pete Turner, qui est toujours à la manœuvre. Flying Dream 1 est un album différent dans sa conception mais aussi dans son contenu. Les circonstances extérieures et le travail à distance ont légèrement modifié l’état d’esprit du groupe en accentuant la part douce et sensible de son écriture (dixit Garvey). Car même si la musique d’Elbow ne se montre pas d’une extrême violence, certains moments peuvent faire sursauter (les coups de claviers de « Starlings ») ou créer de véritables tensions émotionnelles (le rythme soutenu de « Leaders Of The Free World »).
En règle générale, lorsqu’on écoute un disque d’Elbow, on est frappé par la sérénité ambiante et par la qualité des petites trouvailles musicales, toujours opportunes, qui vont transformer un simple morceau en quelque chose d’unique et de terriblement accrocheur. Sur « Flying Dream 1 », par exemple, la composition plutôt classique est parcourue de « backings » irrésistibles qui seront à l’origine de cette atmosphère rêveuse et envoûtante. Une première chanson magnifique à laquelle on doit associer le piano plein de justesse de Craig Potter. Guy Garvey est égal à lui-même et sa partie vocale appose d’emblée le sceau d’une marque reconnaissable entre mille. Nous voilà donc embarqués dans l’univers de ce nouvel album propice à un lâcher prise particulièrement bienvenu par les temps qui courent. Bizarrement, la photo de la pochette ne dégage aucune violence mais plutôt une vague de nostalgie reflétant une époque où tout semblait beaucoup plus simple. C’est le regard perdu dans le lointain de nos souvenirs que la musique et les mots d’Elbow vont venir s’entrechoquer avec nos existences. Il y a beaucoup de tendresse et de moments tout simples dans les chansons de Flying Dream 1, des instants fugaces qui résonnent en chacun de nous. Et même si les paroles vous échappent un petit peu, la musique est assez explicite pour venir titiller votre âme et votre sensibilité. Comment ne pas succomber à la beauté de « Six Words » et à son ambiance proche du « The Carpet Crawlers » de Genesis. Ce titre est peut-être une des plus belles choses que j’ai écouté récemment. Le piano virevolte, les variations vocales nous transpercent en douceur, la rythmique emprunte une route de campagne et les chœurs donnent du volume à ce superbe moment en suspension.
Flying Dream 1 porte décidément bien son nom. L’écouter est certainement le meilleur moyen de quitter la surface pesante de notre quotidien pour voyager vers des soirées tièdes et enfumées (« After The Eclipse ») ou vers des contrées étranges, chères à Robert Wyatt (« Is It A Bird »). La construction est plutôt innovante dans le sens où la douce tranquillité qui anime la quasi totalité du disque va un peu se fissurer sur la fin pour offrir quelques secousses toutes relatives. Cependant, cela ressemble plus à de la volupté qu’à de la colère. C’est vrai qu’avec l’ultime « What Am I Without You », l’orchestration se fait plus puissante mais à la manière d’une catharsis libératoire. On sort du rêve le sourire aux lèvres et sans aucune amertume. Et puis on garde en mémoire des moments magiques, volontairement bancals (la guitare de « Calm And Happy ») ou propulsés par un souffle diabolique (les claviers de « Come On, Blue »). On se rappelle aussi le tempo tribal de « The Only Road », la belle joute vocale de « Red Sky Radio (Baby Baby Baby) » et surtout le poignant « The Seldom Seen Kid », un titre en forme d’hommage au regretté Bryan Glancy, musicien et ami du groupe dont le surnom avait déjà été utilisé pour l’album de 2008.
Voilà, que vous soyez fan absolu, observateur attentif ou simple curieux, je suis sûr que ce dernier album d’Elbow a de quoi vous séduire. La qualité est là et les dix chansons possèdent toutes des particularités qui brisent une certaine uniformité apparente. Flying Dream 1 est un retour en forme de douce parenthèse qu’il faudra promouvoir à la manière de sets acoustiques, très loin des festivals et des salles trop grandes. Une intimité que l’on peut retrouver chez soi en fermant les yeux et en se laissant bercer par ces nouvelles chansons vraiment passionnantes.