Eels – Eels Time !

Eels Time !
Eels
E Works/PIAS Recordings
2024
Thierry Folcher

Eels – Eels Time !

Eels Eels Time !

Il y a des sorties d’albums que je ne peux laisser de côté. Et je ne voudrais surtout pas refaire la même erreur qu’avec Extreme Witchcraft, le précédent opus de Eels publié en 2022. Une œuvre électrique, étrangement zappée – peut-être à cause d’une pochette peu engageante – et qui pourtant, s’inscrivait parfaitement dans une discographie où l’alternance entre fièvre et mélancolie a toujours été de mise. Extreme Witchcraft c’était l’aspect rock grinçant que l’on adore chez Mark Oliver Everett alors que Eels Time ! revient à une pop plus légère, qu’il faut malgré tout appréhender avec précaution. Car chez nos amis californiens, rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y paraît. La noirceur peut s’avérer pleine d’optimisme alors que la clarté cache souvent de bien sombres pensées. Prenez par exemple « Time », la poignante berceuse qui ouvre ce nouvel album. Sous ses aspects avenants, cette chanson cache des névroses qui ne sont pas nouvelles chez Mister E. Il y a, entre autres, la fameuse notion du temps qui passe et les péripéties de la vie difficiles à assumer. La voix éraillée et les arpèges délicats témoignent de leur appartenance à l’univers Eels et rassurent les fans, toujours attentifs aux premiers échos d’un nouvel opus. Eels Time ! est déjà le quinzième album de ce groupe atypique, surgi en 1996 comme un objet markéting destiné à un succès éphémère. Les observateurs de l’époque se sont lourdement trompés et le tube « Novocaïne For The Soul » allait en appeler beaucoup d’autres. Petite précision : Malgré la photo de la pochette (plutôt sympa celle-là), Eels Time ! n’est pas un disque live, mais bien le recueil de douze nouvelles chansons, plus que jamais porteuses du son et de l’esprit Eels. Côté casting, les habituels copains sont de la partie avec notamment les indispensables Kool G Murder et The Chet.

Cependant, en dépit de la sympathie que l’on peut avoir pour Mark Oliver et sa bande, force est de constater que ce nouvel album n’est pas le plus fulgurant, ni même le plus attachant de toute leur carrière (on est vraiment très loin de Blinking Lights And Other Revelations). Bien entendu, c’est mon impression et elle n’engage que moi. Il faut savoir que Mark revient de loin et la mort, si présente autour de lui, a fini par s’intéresser à sa personne. Une délicate opération à cœur ouvert lui a rappelé le douloureux héritage cardiaque qui avait emporté prématurément son père, alors qu’il n’avait que 19 ans. Eels Time !, c’est au tour de Eels ! (de lui ?), comme il le dit franchement dans une récente interview. Il en ressort une ambiance plutôt triste où seules deux ou trois fulgurances vont sortir l’écriture d’un embourbement mélancolique assez pesant. Il y a en particulier le remuant « Goldy » qui vient réveiller l’auditoire après un « We Wont See Her Like Again » mortellement éprouvant. « Goldy » s’offre un rythme de vieille guimbarde, mais qu’importe, il fallait sortir de la torpeur et le miracle a lieu avec tout le savoir-faire de Tyson Ritter à la composition. La présence du chanteur de The All-Américan Rejects est une belle surprise que l’on retrouvera sur plusieurs titres de l’album. « Goldy » est réjouissant, les arrangements sont subtils et la mélodie finit par s’imposer à la manière d’un hymne à scander en bande organisée. Les chœurs sur la fin livrant presque une version festive des tourments de Mark Oliver. On est en plein dans les bons moments du disque et « Sweet Smile » qui enchaîne juste après, va asseoir toutes les critiques, y compris les miennes.

Eels Eels Time ! Band 1

Comme cela paraît simple d’écrire une belle chanson. Il suffit de sourire en marchant dans la rue pour que les mots viennent tout seuls et qu’une mélodie entraînante se fabrique d’elle-même. En fait non, ce serait trop facile et il faut s’appeler Mark Oliver Everett pour que la magie opère en pareilles circonstances. L’allure est sautillante, le xylophone dans la cadence et le chant enjoué éclaire « Sweet Smile » d’une innocence plus que bienvenue. Avec ce titre, E nous explique avoir voulu écrire sa version de « Georgy Girl », cet hymne primesautier chanté en 1967 par The Seekers. Je vous assure que cela fait un bien fou et remet Eels Time ! dans le bon tempo et les râleurs aux oubliettes. Désormais, on saura que tout près des humeurs cafardeuses se trouve une oasis de félicité que l’on pourra aborder à tous moments. Ensuite, après un « Haunted Hero » très recueilli, « If I’m Gonna Go Anywhere » remet du peps grâce à une composition pleine d’allant de Tyson Ritter. Un super morceau sur lequel E ne semble pas vouloir s’embarrasser de paroles confuses et nous envoyer directement vers l’amour. Le disque se mature doucement et prend le bon chemin de l’accroche, surtout que les cordes étouffées du cocasse « And You Run » auront encore le pouvoir de nous maintenir dans le paysage Eels de haut niveau. Dommage que la suite manquera de consistance et peut-être d’un vrai renouvellement. « Lay With The Lambs » tombe dans la banalité en devenant presque brouillon et le court « Song For You Know Who » nous rabâche la même rengaine tant musicalement que poétiquement. Cela commence à m’inquiéter et à me faire penser que l’ennui n’est pas loin de me choper au tournant. Heureusement que l’entraînant « I Can’t Believe It’s True », aux allures de folk song réussie, va réveiller mes neurones légèrement assoupis. Hélas, « On The Bridge », en dépit d’une jolie rythmique rappelant un orgue de barbarie, peine à convaincre et l’ultime « Let’s Be Lucky » malgré son propos optimiste un peu forcé, n’atteindra jamais le niveau d’un passé glorieux, pourtant pas si éloigné que ça.

Eels Eels Time ! Band 2

Voilà ce que je pense de ce troublant Eels Time !. Globalement, c’est pas mal, même si ça manque cruellement d’homogénéité et pour moi, d’une véritable adhésion. L’ensemble paraît déséquilibré et le ressenti en « montagnes russes » est à coup sûr inévitable. Les bons moments le sont réellement, mais les trous d’air font mal au bide. Mark Oliver Everett est passé par la case hôpital avec tout ce que cela comporte comme incidence sur un esprit pas facile à cerner. Pourtant, la paternité, le divorce et la pandémie n’avaient pas contrarié sa fibre créatrice et les albums qui avaient suivi semblaient même en bénéficier. Ce coup-ci, j’ai le sentiment d’un réel coup de mou et l’impression de voir ce grand personnage tourner en rond. Je me répète, il s’agit de mon opinion et je ne possède pas la vérité sur tout. J’attends avec impatience de connaître la suite, car Mark Oliver saura rebondir, cela ne fait aucun doute.

https://www.eelstheband.com/

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