Djabe & Steve Hackett – Freya – Artic Jam
GR1993 Records
2025
Thierry Folcher
Djabe & Steve Hackett – Freya – Artic Jam
C’est vers une destination enchanteresse que je vous emmène, vers un pays où la douceur et le rêve vous enlacent tendrement de leurs bras chaleureux. Bizarrement, l’endroit est naturellement froid et souvent figé dans les glaces. Un monde arctique qui n’est pas à proprement parler le plus hospitalier du monde, mais qui recèle en lui un réel pouvoir d’attraction auprès des artistes. La déesse Freya est au centre de la mythologie nordique et n’a pas manqué de venir titiller l’inspiration de bon nombre de créateurs scandinaves. Cela dit, il faut bien reconnaître que c’est beaucoup plus étonnant de la retrouver sur les bords du Danube et à l’affiche du dernier album des Hongrois de Djabe. Et pourtant, c’est bien ce qui se passe avec Freya – Artic Jam, la dernière production que Tamás Barabás et Attila Égerházy ont concoctée en compagnie de Steve Hackett, leur fidèle complice depuis plusieurs années. Je dois admettre que cette association est une réussite et que chacun y trouve son compte. Pour ma part, la grande sensation est de voir comment Steve arrive à s’adapter aux exigences d’une écriture différente. Et le résultat est tout simplement bluffant. Djabe aime bien voyager et vivre des expériences lointaines. Ses pérégrinations méditerranéennes (Life Is A Journey en 2017 et Back To Sardinia en 2019) ont été un réel succès et prouvent que nos amis hongrois ont bien fait de s’éloigner de Budapest pour chercher l’inspiration. Mais, passer du chaud au froid était un pari risqué, surtout pour une formation dont la musique dégage plus de chaleur que de frileux engourdissements. La découverte des sept titres de Freya – Artic Jam a bien sûr effacé cette crainte.
En observant la pochette, il est facile d’imaginer les sonorités qui s’adapteraient au mieux à la pureté de ce paysage enneigé. Pourquoi pas un soft jazz, plein de basses câlines et de solos feutrés ? Intuition gagnante, car c’est tout à fait ce genre de musique qui accompagne les perceptions nordiques de ce nouveau disque. Les enregistrements des Artic Jam ont eu lieu lors de la tournée que Djabe et Steve Hackett ont effectuée en Norvège en janvier 2024. Drôle d’impression où le simple fait de jouer en dehors de la maison se transforme aussitôt en besoin de créer. Peut-être parce que tout cela s’est déroulé dans des conditions dantesques, bien au-delà du cercle polaire et dans des lieux propices à l’inspiration. Étonnamment, les vents tempétueux qui soufflaient sans relâche n’ont pas eu d’emprise sur l’écriture. Et c’est plutôt une atmosphère recueillie, celle de « In The Silence » qui donnera la meilleure indication à l’ambiance générale du disque. Un premier titre calme et serein qui a l’autre avantage de ressembler à un tour de chauffe permettant de (re)faire connaissance avec les musiciens. En première ligne, les deux auteurs du morceau, à savoir Tamás Barabás et sa basse féline qui ronronne comme un gros chat, et Péter Kaszás, dont les percussions métronomiques serviront de support idéal à toute l’équipe. Ensuite, Zoltán Bubenyák et ses claviers aériens, Attila Égerházy et Steve Hackett en maîtres guitaristes de haut vol et enfin Áron Koós-Hutás à la trompette. Un instrumentiste de talent qui avait tenu la dragée haute au grand Steve sur le Live In Györ.
Comme le titre le suggère, on a bien affaire à une jam, mais une jam de très grande qualité où l’ennui ne viendra jamais assombrir la sensation de plaisir que les premières notes de « In The Silence » nous ont offerte. Tous ceux qui connaissent Djabe savent à quel point la notion de jouer ensemble est capable de s’accompagner d’un tel degré d’inventivité et de savoir-faire. Chacun dans son rôle est apte à prendre le groove et le free jazz à son compte et d’en faire quelque chose de merveilleux. Alors, bien sûr, les solos de trompette et de guitare sont les plus remarquables, mais si vous prenez un titre comme « Whisper Of The Woods », c’est plutôt sur la construction millimétrée ou sur l’harmonie entre musiciens que se portera notre attention. Du grand art, difficilement comparable à qui que ce soit aujourd’hui dans la sphère limitée des improvisateurs de talent (Pat Metheny en fait partie). Une chose est sûre, c’est que Steve Hackett se fond dans le paysage et que seuls les habitués de son toucher arriveront à le différencier d’Attila Égerházy. Le plus surprenant, c’est qu’au bout de quelques minutes, on n’y pense même plus. C’est du moins ce que je ressens. La musique, donc, en grande partie instrumentale (seul le titre « Freya » est réellement chanté) sera au premier plan de cet album, compagnon fidèle de nos moments réparateurs. De la détente avant tout, avec quelques passages vraiment enchanteurs comme la guitare sustain et les percussions virevoltantes de « Stone Age Tea » ou encore l’harmonica de Steve sur « Sliding Trees ». À noter que sur la version double vinyle, vous aurez droit à trois titres bonus enregistrés live au Dama Di, une boîte branchée de la ville de Bodø dans le nord de la Norvège.
Une fois encore, la belle équipe de Djabe, renforcée de Steve Hackett, a réussi le pari de nous séduire en nous amenant au-delà du cercle polaire pour une jam, dont eux seuls ont le secret. Une petite heure de musique où le jazz fusionne à merveille avec des teintes progressives et world. Nos amis hongrois ont véritablement réchauffé la place en propulsant leurs ondes bienfaitrices sur la toute-puissance de l’hiver norvégien. Un miracle à notre portée et que l’on peut s’offrir aujourd’hui comme élément réparateur à tous les moments glaçants de la vie.
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