David Crosby – Here If You Listen
BMG
2018
Thierry Folcher
David Crosby – Here If You Listen
Les légendes du rock encore en activité méritent toute notre attention. Chaque année voit sont lot de départs, et malheureusement, pour certains, on ne parle plus que de bilan, de rétrospective ou de rééditions sauvages. Alors quand Monsieur Crosby (77 ans au compteur) se manifeste à nouveau à la cadence frénétique de quatre albums en quatre ans, ne boudons pas notre plaisir. D’autant plus que la qualité est là. Avec David Crosby, on peut bien évidemment (et on doit le faire) se replonger dans sa prolifique carrière avec les Byrds, les mythiques Crosby, Stills, Nash and Young, ou réécouter le splendide If I Could Remember My Name de 1971. Mais rien n’empêche de s’intéresser à ses derniers enregistrements assurément à la hauteur du personnage. Alors bien sûr, il flottera toujours un parfum de nostalgie avec cette voix si douce et reconnaissable entre mille. Une voix qui n’a pas pris une ride au service de compositions toujours bien ficelées. David Crosby sera toujours votre ami des fins de soirées ou des ambiances feutrées propices à la détente. Des quatre mousquetaires cités plus haut, c’est celui qu’on adore pour son timbre presque féminin et ses harmonies vocales incomparables. Rien d’étonnant donc, que pour Here If You Listen il se soit entouré de Becca Stevens, Michelle Willis et Michael League pour nous proposer onze chansons à quatre voix d’une beauté renversante.
Here If You Listen fait suite au très bon mais classique Sky Trail paru l’année dernière. Toutefois, ce nouveau chapitre qui arrive si rapidement derrière n’allait-il pas faire les frais d’un trop plein quelque peu répétitif ? Pour répondre, il faut savoir que l’ami Crosby, avec son cortège de déboires qui en auraient laissé plus d’un sur le carreau, est toujours là et de son propre aveu, cette succession de sorties obéit à un besoin de rattraper le temps perdu. David Crosby est un artiste qui a malheureusement gâché une partie de sa vie dans toutes sortes d’excès et ce retour à la lumière doit être perçu comme une bénédiction. Alors pas d’hésitation, tant qu’il trouvera l’inspiration nous sommes preneurs et à la cadence qu’il voudra. Et puis, Here If You Listen est bien différent de son prédécesseur. En effet, sur Sky Trail, l’ambiance générale tournait autour d’un soft jazz proche de Steely Dan alors que là, c’est un exercice vocal grandiose qui nous est proposé. Une étrange façon de remonter le temps et de reprendre avec ses habituels complices de studio et de tournées (pour l’album Lighthouse notamment) ce savoir faire (chanter) du grand CSN&Y. Une complicité vocale mais aussi d’écriture et d’interprétation instrumentale. David Crosby s’exprimant ainsi : « l’alchimie était explosive, je n’ai jamais vu un tel pouvoir créatif, nous avons écrit et enregistré l’album en huit jours, c’était fou, absolument fou ! ». Pour lui, « Here If You Listen is a group venture ». Pas étonnant donc de voir les quatre noms figurer sur le recto de la pochette.
Pour se convaincre de la filiation avec le géant vocal des seventies, il suffit d’écouter « Glory » le premier titre de l’album. L’intro à la guitare est déjà magique et c’est presque évident que sur ces notes cristallines vienne se poser le timbre attendrissant de David Crosby. Le groupe va ensuite soutenir la voix du maître en lead et en backing pour finalement arriver à une harmonie vocale de toute beauté. Et vous verrez, ce « Glory » va raisonner dans votre tête pendant très longtemps. Les titres vont s’enchaîner dans le même registre mais sans jamais lasser tellement l’osmose entre les quatre musiciens est évidente. Je retiendrais, pour ma part, « Your Own Ride » et sa mélodie au piano d’une justesse remarquable. Les voix superposées semblent flotter sur la musique avant que David ne lâche ses camarades pour un exercice vocal magnifique. Le vieil homme semble transmettre sa sagesse sur ce titre particulièrement poignant, ressemblant à une démarche testamentaire. Je pourrais vous parler aussi de « Vagrants Of Venice » et de son message désabusé sur une cité autrefois radieuse, désormais promise à l’abandon. Des sujets graves, mais comment faire autrement. Revenons plutôt au contexte musical chargé de véhiculer les mots et les idées. « I Am No Artist » déploie une petite samba où l’on croit reconnaître Michael Franks, puis on voit le bout du nez de Robert Wyatt sur « 1967 ». Ce dernier titre est un exercice vocal assez surprenant, avec une intensité grandissante qui nous ramène vers ces longues improvisations que l’on pouvait se permettre à l’époque.
Sur l’album figure donc ces deux titres énigmatiques, « 1967 » et « 1974 », qui sont en fait deux anciennes démos ressorties pour l’occasion et remises en selle par les jeunes camarades de David. On a la nette impression qu’ils ont su insuffler de la joie et du dynamisme à notre vieux baroudeur un peu trop enclin aux idées sombres. Parmi les bons moments, il y a le mystique « Buddha On the Hill » qui nous renvoie au titre de l’album scandé comme un mantra. « Balanced On A Pin », chanté pratiquement en solo par David, nous offre un grand moment de pureté vocal et musical. Le timbre est d’une clarté incroyable et l’accompagnement acoustique discret et soyeux. Chaque titre mérite qu’on s’y attarde, mais cet album se déguste dans son ensemble comme un voyage onirique et bienfaisant. Juste un petit mot sur « Janet », écrit par Michelle Willis, sur lequel le groupe se lâche un petit peu en empruntant le chemin d’un blues cocasse. Et puis le « Woodstock » de Joni Mitchell, avec son message hippie mais pas forcement désuet, vient conclure admirablement cet opus. « We are stardust Golden And we’ve got to get ourselves Back to the garden ». A méditer.
David Crosby a longtemps fait figure d’homme « without a band » et ce n’est désormais plus le cas. Ce quatuor, appelé un temps le Lighthouse Band, a fourni la preuve qu’avec Here If You Listen il possédait aussi un réel pouvoir d’écriture. Une bonne nouvelle pour l’ami Crosby qui pourra être ainsi bien épaulé lors de ses prochaines aventures. Cependant, ne soyons pas pressés, car ce dernier album mérite qu’on s’y attache et qu’on passe du temps avec lui. Here If You Listen peut devenir votre compagnon de soirée et capter l’attention autour de vous. En général, la voix a la chance de moins subir les outrages du temps, alors aucune crainte pour vous d’être traité de « has been ». David Crosby et son pote le prolifique Neil Young n’ont pas envie de lâcher l’affaire et ce n’est pas nous qui allons nous en plaindre.