Daniel Menche – Guts
Daniel Menche
Mego
Bon attendez, je vous explique le topo. Vous prenez le quartier de la Défense à Paris. Vous vous installez sur l’esplanade. Un piano préparé y est placé, en plein milieu, à la vue de tous. Quelqu’un s’apprête à investir l’instrument. Oui, mais cette personne, c’est Daniel Menche… Et Daniel Menche, ce n’est pas John Cage. Il n’est pas en costume de pingouin devant des snobs endimanchés. Il s’approche, touche une corde avec son doigt recroquevillé. Et Vlam !! le quartier est rasé… Une déflagration qui raserait un continent, voilà en peu de choses ce qu’est « Guts », dernier album studio de l’Américain. Si vous pensez que le piano préparé, ce sont des « Pliiiinnng » et autres « Ploiiinnngg » battus en mesure, ou dans un désordre on ne peut plus aléatoire, passez votre chemin. Quand Daniel Menche investit un instrument comme il l’a fait dans le passé, ce n’est pas pour y trouver la mélodie indéchiffrable que les mélomanes recherchent. Ce n’est pas un piano, non, non, non. C’est un réacteur ! C’est pour donner corps au son, lui donner une stature à faire écrouler le phare d’Alexandrie, les pyramides de Kheops, le Pentagone en même temps, sans le côté nanardesque 2012, bref, donner une densité insoupçonnée à ces choses banalisées dans le quotidien.
Le piano, c’est physique, charnel, ça ne passe pas que par la « Lettre à Elise ». Ça provoque des vibrations, ça remonte les tripes au gosier, c’est un embargo, une expérimentation des gestes et des muscles. C’est la matière, la structure même qui est chauffée à blanc, amplifiée jusqu’à la surchauffe par contact à faire palir les expérimentateurs en tout poils agréés. « Guts », c’est un disque d’électroacoustique comme Schaeffer n’aurait jamais imaginé le concevoir. Brut de décoffrage, au raclement de cordes colossaux, au bruitisme organisé, construit, préparé pour tout dire. Car oui, Menche refuse l’aléatoire. Aux drones massifs, il leur donne une histoire, aux inter-jonctions grinçantes, il leur donne une souffle, une aura décuplée.
« Guts » n’offre pas une démonstration de piano classique, il nous plonge dans les entrailles de la bête, les cordes tirées, les marteaux qui frappent, le poids du pied sur les pédales, le bois qui grince à chaque intonation. Le détail qui devient énorme, en somme, effritant les os, irradiant sa puissance et ses basses sur des mesures impossible à quantifier…
Jérémy Urbain (9/10)