Cober Ord – Le Revers Du Soleil
Cober Ord
Mantra Spenta, Phagues Tapes, Turgid Animals
La plaine est déserte, no man’s land vide aux teintes sépia. Pas de vent, encore moins de souffle, insectes aux sons hésitants, vagues lueurs de vers luisants floutées par la nuit épaississante. Le soleil est (déjà) couché, la chaleur s’estompe, vient l’écho. Lointain, diffus, on s’approche, craquant des brindilles éparpillées à chaque pas. Trop de bruit. On s’arrête. L’espace ouvert se ferme et se concentre. Cliquetis métalliques, respirations, percussions maisons, imprécations soufflées. Minimalisme exagéré dès l’ouverture, on peut même sentir la tension du sol qui crépite entre ses longs silences.
Cober Ord joue de l’espace. C’est un terrain de jeu qui prend plaisir à se faire triturer. Laisser le son prendre de l’ampleur, atteindre son paroxysme avant qu’il ne s’atténue et ne s’éteigne. Le rituel prend place. Il est joueur, il emprunte aux difformités des New Blockaders ou de SPK et des musiques industrielles première génération. Il se fait lent, précis et vicieux. Sa puissance enfle, graduellement, il grésille progressivement en même temps que les voix diphoniques interpellent, plus pressantes et agressives, prenant cet accent black, mortuaire et animiste. L’organique, ça vit, ça pulse, les ombres répondent, le hasard décide, il grimpe la montagne, celle de la tension. Et puis les arbres obtempèrent, ils bougent, se frôlent et s’entrechoquent dans une émanation sans mouvement.
Tais-toi, l’insecte. L’humain disparaît, vient l’heure d’un mouvement chamaniste. L’animal gronde, le végétal frémit, l’un s’imbriquant dans l’autre, séduction dans l’extase. Pause.
Plus qu’une apparition ou d’une représentation, l’espace, cet emplacement énergétique, se distend. De nouvelles couleurs apparaissent, on sursaute aux percussions aléatoires, tension par l’écart. Distorsions. Muscles endoloris par le volume du son, arc-boutés sur une pédale d’effet, des silhouettes s’animent, visages cachés, obsédant de la nuque. On croit voir des ronds onduler le long du rivage atteignant péniblement le centre. L’attention est complète.
Savourez. On atteint le degré d’attention et de ténacité mystique des Finlandais d’Halo Manash. Le corps mute, se pare d’appendices poisseux, quintessence d’une sauvagerie sur le point de surgir sur fond de halètements altérés et de saturations dronisantes. Et qu’est-ce qui apparaît au final ? Là, ma position (aussi privilégiée que distante) ne peut laisser qu’un malheureux choix. Arnaque grotesque ou véritable expérience sensitive ? Difficile de faire aussi polaire à une époque où les choix se font de plus en plus restreints en même temps que les « médiums » de diffusions se multiplient. Et c’est la force du Revers du Soleil, paraître aussi moderne et occulte que s’il était sorti dans les années quatre-vingt.
Je savais bien qu’il y avait autre chose dans ces senteurs. Reniflez la saleté de la transcendance…
Jéré Mignon
Et la poésie ou les nouvelles littéraires Jérémy, ça ne te dit pas? Tu as le juste ton pour tout ça. Je suis moi-même auteur dans le genre depuis toujours, mais tu es une forte pointure. Même si la musique qui est chroniquée ne m’intéresse pas toujours d’emblée, tes textes sont d’un tel rythme et possèdent de telles images qu’il me vient le goût de m’y tremper. Ça, c’est d’une efficacité redoutable! 🙂