Chelsea Wolfe – Birth Of Violence
Sargent House
2019
Jéré Mignon
Chelsea Wolfe – Birth Of Violence
Le premier terme qui me vient à l’esprit lors de l’écoute de Birth Of Violence c’est… évident. Évident que la chanteuse américaine aux yeux bleus métalliques sorte un album folk sobre et minimaliste une fois passé le doublé Abyss et Hiss Spun. Le premier arpentait la route d’un rock lourd de chez lourd teinté indus aux poussées pachydermiques quasi doom alors que le second et dernier en date plongeait de plein pied dans la mare d’un metal plus torturé et abrasif à la limite de la suffocation, où la puissance se conjuguait avec la voix cristalline toujours sur le fil de la chanteuse. Et même si cette dernière affirmait que la folk ne faisait plus partie de son registre depuis Unknown Rooms: A Collection Of Acoustic Songs (https://chelseawolfe.bandcamp.com/album/unknown-rooms-a-collection-of-acoustic-songs), il est apparu peu surprenant que Chelsea Wolfe enregistre cet album aux tonalités plus intimistes et débarrassées de tout « artifices » électriques mode tractopelle.
Comment dépasser la tonalité sismique de Hiss Spun qui était, au final, le prolongement dépressif d’Abyss, déjà porte d’entrée aux angoisses habitant la tête et les rêves « Jungien » de la chanteuse californienne ? Sûrement que la question s’est posée entre ses deux yeux. La redondance guettait en coin, l’essoufflement aussi peut-être. Et puis, merde, franchement, pourquoi continuer dans cette voie au risque fort probable de tomber sur un piège à loup et là, là oui, la déception aurait été palpable. Évidence, encore une fois, que le choix délibéré de s’affranchir de toute forme de saturation n’est pas dû au hasard du calendrier et encore moins à de l’opportunisme ou de la facilité pour les plus médisants. Birth Of Violence est un éveil. Celle de la conscience, de la prise de position voire de risque (la pochette étant une citation à une figure féminine forte qu’est Jeanne d’Arc). Position acoustique quasi instinctive tant l’ensemble paraît si ridiculement naturel à l’écoute qu’on sourcille à peine un micro poil. Conscience de la démarche entreprise, clairement assumée, au risque de choquer les nouveaux venus dans l’univers musical et mental de la chanteuse. Mais aussi mise à nue des sentiments, des laisser-allers, des questionnements face à une société de plus en plus folle et auto-destructrice. Birth Of Violence a tout d’une thérapie. On dit bonjour, on serre timidement une main moite, on se couche sur un sofa plus ou moins confortable et on parle, si possible. Chelsea Wolfe, ici, parle, entrevoit un dialogue, s’égare dans un monologue, pose ses mots sur la folie, l’intolérance et l’incompréhension. Sa guitare est son papier et à l’américaine d’y accompagner, dans une enluminure dépouillée mais séduisante, les propos d’une recherche thérapeutique et libératrice. Elle y parle des tueries de masse, racistes et anxiogènes, de la perte de libertés, de la stupidité d’un président fou et dangereusement con (pas la peine de faire un dessin) dans ces titres mélancoliques à l’émotion prégnante (l’ouverture « The Mother Road ») ou au refrain entêtant de « Deranged For Rock’n’ Roll » quand cet impressionnisme n’est pas magnifié par des arrangements rythmiques et atmosphériques, dispensés par les collaborateurs indéfectibles de Chelsea, tout aussi subtils qu’indispensables.
Tout comme le punctum photographique de Roland Barthes, ce sont ces détails d’un clignement des yeux qui donnent sens, cohésion et une certaine beauté mélancolique voire amère aux douze titres parsemant Birth Of Violence qui dans ses meilleurs instants rejoignent la beauté sépulcrale de Marissa Nadler, sortant par la même occasion du carcan réducteur auquel sont affublées la majorité des chanteuses folk à guitare : c’est triste, c’est sombre, c’est toujours pareil, bouh ! Birth Of Violence a tout d’un carnet intime contenant annotations, courts poèmes et croquis que la californienne laisse la complète lecture à l’auditeur quitte à le perdre parce qu’après tout, c’est qui celle-là ? Peut-être est-ce là une nouvelle preuve que la chanteuse combat sa timidité maladive, sa peur à l’autre, du contact (voyez la en vrai, c’est assez perturbant) tout en se mettant quelque-part en danger parce qu’elle a décidé qu’il était temps de s’éveiller, de s’affirmer. L’évidence même d’un style folk, dark, épuré encore une fois se terminant sur un field-recording d’un orage, montrant que les intempéries de l’esprit ne peuvent se contrer uniquement dans la musique. Peut-être est-ce là aussi la pleine vision de la chanteuse au moment de conclure Birth Of Violence. Parce que de violence il n’y en a que dans le titre si ce n’est dans l’esprit de chacun…
Madame Wolfe vous serez toujours à mes yeux de pauvre chroniqueur bénévole et passionné une muse à me faire ressentir des émotions si viscérales et cela peu importe le style.
https://chelseawolfe.bandcamp.com/album/birth-of-violence