Chelsea Wolfe – Hiss Spun

Hiss Spun
Chelsea Wolfe
Sargent House
2017

Chelsea Wolfe – Hiss Spun

Chelsea Wolfe Hiss Spun

Déprimant… C’est le premier mot qui arrive quand je pense au nouvel album de Chelsea Wolfe. Déprimant parce que ça grésille des amplis, c’est organique, ça fait vrai, vécu. Déprimant parce qu’on y sent toute l’amertume d’un monde sans repères, perdu. Déprimant parce qu’on y ressent la détresse de Chelsea dans chaque intonation, en écho de sa voix diaphane, presque trop innocente. À tel point qu’on est prêt à mettre une main sur ses yeux d’acier en signe de protection. Oui mais voilà, Chelsea, celle qu’on appelle la diva des ténèbres (rires), préfère affronter de face, sans timidité, le monde qui l’entoure. J’ai bien dit elle ? Oui, car c’est bien sa vision des choses, son ressenti qu’elle laisse couler durant les douze titres formant Hiss Spun.

Chelsea Wolfe Hiss Spun Band1

Une mise à nu qui fait planer une certaine plénitude au milieu d’une accumulation dosée mais prégnante. Si le ton est lourd comme du marbre, l’intonation s’y fait tout aussi atmosphérique, comme si un ange survolait un paysage en ruine. On peut y voir des gestes gracieux de bras effectuant une sorte de chorégraphie, des volutes de fumée se dispersant au gré des mouvements. Une ambiance quasi d’outre-tombe se déploie alors que la voix fragile de Chelsea, véritable paradoxe dans cet univers, semble maintenir, affronter, défier, astreindre toute la rancœur, toute la connerie d’un monde qu’elle ne comprend plus, même si elle cherche à le discerner. Un voyage qui oscille entre le rêve perdu, frontal, et le cauchemar, agressif et angoissant. Amateurs de L’Échelle de Jacob, soyez prévenus. N’est-ce pas pour rien que la chanteuse se permet un aparté tardif en fin d’album rappelant ces exercices folk, telle une grosse respiration qui arrive trop tard pour laisser espérer un sourire approbateur et ne donnant qu’une grosse envie de sangloter avant que le chaos n’arrive ?

Oui, Hiss Spun est déprimant, cafardeux mais en même temps donne espoir, même tenu à un poil de fesse, alors que la voix de l’américaine se permet de partir dans des tonalités plus aiguës. Il y respire un courage, une rage qui, même noyés dans un tempo globalement pesant, écrasant les petites omoplates innocentes, gagnent en force. Que ce soit du tube « 16 Psyche » tout bonnement délicieux et judicieusement placé dans la tracklist, à la dualité de « Vex » avec les growls bien sentis d’Aaron Turner (Sumac, Old man Gloom, Isis), il y respire une ampleur dans l’intimité. Remercions la production de Kurt Ballou (Converge) donnant ce cachet si imposant tout en ne s’écartant pas, et ce avec pudeur, de la psyché de la génitrice. Un travail d’équilibriste entre un son ridiculement colossal qui arrive, on ne sait comment, à rester cohérent et éthéré. Kurt Ballou, l’ours de la production, cible privilégiée et toujours bonne occasion de tailler un costard, s’en sort avec juste cette impression d’avoir sorti Chelsea d’un cocon, d’où ce sentiment d’extirpation persistant qui saute sans couiner gare. Merci monsieur.

Chelsea Wolfe Hiss Spun Band2

Torturé et pourtant jusqu’au-boutiste, ce dernier-né est un dédale de sensations, d’intensités ne te lâchant jamais, ami(e) lecteur ou lectrice, de cette main gracile mais ferme. Et que reste-il ? Le regard bleu électrique de la chanteuse, dont je cherche encore la profondeur. Plus elle ouvre ses portes face à la société et plus sa carapace se forge, renforçant son aura mystérieuse. Déprimant et d’une noirceur inédite, certes, mais pas sans espoir. Hiss Spun projection mentale ? Boogeyman nécessaire ? Pas de tergiversation, coup de cœur de circonstance.

Jéré Mignon

Coup de Coeur C&Osmall

http://www.chelseawolfe.net/

https://chelseawolfe.bandcamp.com/

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