Caoilfhionn Rose – Constellation
Gondwana Records
2024
Thierry Folcher
Caoilfhionn Rose – Constellation
Constellation de Caoilfhionn Rose, je vous l’avais promis, mais je ne pensais pas que ce serait aussi vite et pas spécialement dans la foulée d’Outerstate de Kessoncoda. Seulement voilà, cet album a quasiment vécu en parallèle avec celui du duo londonien et s’est vite imposé de façon magistrale. Pour tout vous dire, j’aime bien varier les styles de musique de mes chroniques, mais dans le cas présent, j’ai voulu maintenir la pression et délivrer mon sentiment à chaud. Je dois avouer que le monde de Caoilfhionn (prononcez Keelin) est particulièrement envoûtant et ajoute une once de magie au précieux catalogue de la firme Gondwana. Son univers est bien dans l’esprit du label, mais avec un je ne sais quoi de plus, de complètement à la marge. Je m’explique. Avec Constellation, on retrouve l’habituel mélange de jazz, de folk, de pop et d’électro, mais dans une forme qui privilégie davantage l’ambiance générale que le traditionnel découpage par titres. Un peu comme on le voit chez Enya ou chez Sigur Rós. Par ailleurs, même si je suis intimement persuadé qu’un nouvel album demande de la concentration, je trouve que Constellation peut s’écouter de manière détachée en laissant les notes se promener autour de soi. De telle sorte que la musique s’installe comme un décor et finit par occuper l’espace. Vous allez me dire : « c’est de l’ambient ! ». Pas vraiment, car ici, l’aspect cérébral un peu froid n’est pas de mise. Bien au contraire, c’est très abordable, douillet et accueillant. Il n’y a pas d’aspérités, les séquences s’enchaînent sans heurts et la voix vient se greffer doucement comme n’importe quel autre instrument.
Écouter Constellation est une expérience qui demande malgré tout un peu d’adhésion. Caoilfhionn Rose ne va pas chercher à vous perdre dans ses délires ni vous enfoncer des messages stériles dans le crâne. Elle va plutôt se présenter comme une amie capable de soigner certains aspects tumultueux de la vie. Sa musique permet de souffler ! Nous sommes là pour nous détendre et les quarante minutes de son disque sont une réelle source d’apaisement. À présent, il est peut-être temps d’en savoir plus sur cette jeune mancunienne, bourrée de talent. Caoilfhionn s’est fait connaître en 2018 avec Awaken, une première apparition prometteuse dont le son, encore brut, ne demandait qu’à s’émanciper. Ce fut le cas avec Truly sorti en 2021, un deuxième effort beaucoup moins conventionnel et déjà marqué par la recherche d’atmosphères à la fois brumeuses et colorées. Et de l’éveil en passant par la vérité, on en arrive donc à ce voyage vers les étoiles où nous envoient Constellation et ses dix séquences – j’ai toujours du mal à dire morceaux – sortant des sentiers battus. D’ailleurs, comme un signe et par rapport aux deux précédentes jaquettes, la pochette a explosé et les repères sont moins évidents. La carte ne peut se lire sans faire appel à beaucoup d’imagination et l’auditeur devra se munir d’une indispensable ouverture d’esprit. Les paroles de Caoilfhionn frôlent le mysticisme et s’adressent au bon vouloir de chacun. « We’re all Strands, weaving our own way… » (Nous sommes tous des fils, tissant notre propre chemin …), « Breathe breathe, there is a light always for you… » (Respire respire, il y a toujours une lumière pour vous…), voilà le genre de messages laissés sur « Wandering Mind » et sur « A Light In The Middle » et tout le reste est à l’avenant. Pas étonnant que la musique opte pour un langage éthéré, bien loin des secousses telluriques qui alimentent notre quotidien. Ce disque fait du bien ! Je vous le garantis.
Dès l’entame avec « Constellation » (le morceau titre), on est pris dans une sorte de flottaison sur laquelle on aime se laisser aller et qui ne nous quittera plus jusqu’à la fin. Caoilfhionn chante à son rythme et nous invite à ouvrir notre esprit pour mieux appréhender son monde. Cette requête, sitôt acceptée, est le point de départ d’un voyage où les musiciens vont se fondre dans un soft jazz languissant, mais bien soutenu par le souffle discret d’un sax (Jordan Smart) ou la ligne mélodique d’un synth bass (Rich Williams). Le paysage sonore semble recueilli, presque religieux, le piano se cherche un peu (« Momentary »), mais ne déroge pas à sa mission de créer un espace magique, quasi surnaturel. Je vous le disais, de montagnes, il n’y en a point, mais de petites collines, c’est plus probable. « Josephine » par exemple prend le parti de la cadence et de la mélodie que l’on retient. En jouant la carte de l’accroche mélodique, Caoilfhionn est bien armée pour ne pas se noyer dans son mysticisme et l’auditeur non plus. L’attrait est toujours là et le très touchant « Rainfall » ne fera que confirmer ce partage d’idées. Le plus beau des sommets (la plus haute colline) s’appelle « Simple », un titre qui vit au rythme de la batterie d’Alan Taylor et qui soulève quelques vagues à cette mer, jusqu’alors étale. Tout se passe en harmonie, en bons dosages et en ouverture aux collaborations. « Fall Into Place » remet le sax de Jordan Smart en première ligne et confirme sa belle entente avec les autres instruments (ici, le piano de John Ellis). Constellation vient de nous offrir quelques secousses bienvenues sans pour autant contrarier l’univers onirique déployé jusque-là. « Into Sky », « Drifting Dust » et l’ultime « A Light In The Middle » seront quant à eux de puissants transporteurs d’émotions, bien dans la volonté de Caoilfhionn d’arriver à créer un beau collage à la fois sonore et humain.
Dans la grande galerie des objets artistiques marquants, Constellation de Caoilfhionn Rose peut revendiquer une place bien en vue dans la catégorie jazz atmosphérique, de plus en plus en vogue de nos jours. Et si l’avenir de ce courant musical (le jazz) se dessinait avec ces élégants musiciens pleins d’idées et de talent ? Matthew Halsall l’a bien compris et sa maison d’édition ressemble de plus en plus à ce que pourrait être une sorte de petite Note Bleue du vingt-et-unième siècle. Même si un monde sépare Blue Note et Gondwana Records, l’identification, l’appartenance, la compétence et la liberté d’expression sont dans les deux cas identiques. Il ne sert à rien d’opposer les époques et les musiciens, car il existe aujourd’hui, comme hier, un énorme vivier de personnages à fort tempérament. Caoilfhionn Rose en fait partie.
https://caoilfhionnrose.co.uk/