Boris Lelong : itinéraire d’un musicien voyageur et créateur de jardins sonores

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Boris Lelong : itinéraire d’un musicien voyageur et créateur de jardins sonores

A l’occasion de la sortie de son album « Incubation« , l’équipe de C&O a rencontré Boris Lelong (ami et collaborateur de longue date pour certains d’entre nous !), artiste globe-trotter polyvalent, à la fois musicien accompli, compositeur, producteur, ethnomusicologue autodidacte, initiateur et pilote de grandes aventures socioculturelles internationales, conférencier, photographe, et bientôt réalisateur de films documentaires ! Au fil de l’entretien qu’il nous a accordé à la terrasse d’un café parisien, enfin saluée par le Soleil en ce début du mois de juillet, Boris revient sur son propre parcours musical des origines à aujourd’hui, nous livre les secrets de son merveilleux et immersif « Incubation », et nous propose, entre autres sujets, un passionnant décryptage des musiques électroniques « ambient » et cinématiques, avec son regard éclairé de musicien et de mélomane. Attention… Moteur !

C&O : Boris, pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas, peux-tu nous résumer un peu ton parcours de musicien ?

BL : J’ai commencé par la musique électronique à l’âge de 14 ans avec un synthétiseur analogique (un Korg Poly-800 pour les connaisseurs) sur lequel j’ai appris à bidouiller et fabriquer des sons, voilà surtout ce qui m’intéressait à l’époque. Ce matériel était alors très limité pour que je puisse sérieusement me lancer dans la composition, mais j’ai par la suite fait l’acquisition d’un autre clavier (un Korg Wavestation), puis un ordinateur, et j’ai commencé à réaliser mes premiers morceaux dans une veine inspirée par les paysages atmosphériques de Brian Eno. Encore adolescent, je me suis mis ensuite aux petites flûtes du monde, celtiques, roumaines, puis j’ai développé l’apprentissage de nombreux instruments acoustiques au fil de mes voyages en Afrique et en Asie, en habitant dans des villages, au sein de cultures très différentes de celle d’où je venais. J’y ai découvert la pratique d’instruments à cordes, de percussions en tous genres, de pianos à pouces, de gongs, etc. Je suis donc devenu avec le temps un poly-instrumentiste touche-à-tout !

C&O : Comment en es-tu arrivé à écouter de la musique électronique ?

BL : Déjà enfant, j’étais très sensible à la musique instrumentale. En découvrant par exemple à la radio des morceaux aux sonorités intrigantes de Jean-Michel Jarre ou Vangelis, cela excitait mon imagination. Je trouve que les premiers albums de Jarre ont encore aujourd’hui un charme et une patine merveilleuse, notamment « Oxygène » et « Les Concerts En Chine », si ont met de côté certains titres et les horribles batteries électroniques alors en vogue. Vangelis en revanche, a continué à produire des œuvres originales et intéressantes tout au long de sa carrière, même si les années 70 et 80 restent indépassables en ce qui le concerne. Je m’évadais beaucoup aussi en écoutant des bandes originales de films. Mais ce sont les artistes plutôt porté sur le synthétiseur qui ont joué un très grand rôle dans ma vie de mélomane. A l’époque du lycée, j’ai découvert Klaus Schulze (« Timewind », « Body Love », « Mirage », « Moondawn ») et surtout Steve Roach (« Quiet Music », « Dreamtime Return », « Desert Solitaire »), qui pour moi a été l’ouverture d’un nouveau continent à part entière, qu’exploraient également Robert Rich, David Parsons, et toute une fabuleuse école de musiciens qui créaient des mondes, des paysages sonores à partir de l’électronique, mais souvent combiné avec des instruments acoustiques tels que le didgeridoo, les conques, les gongs balinais, les chants amérindiens, les tambours rituels, etc.

Ensuite, à cette même époque, j’ai écouté les disques de Jon Hassell et sa musique du quatrième monde, ceux de Brian Eno (« Apollo », « Music for airports », « Thursday Afternoon »), ce dernier m’ouvrant les portes de l’ambient, cette musique qui se pose là, dans laquelle il ne se passe pas grand-chose, mais qui « habite » le moment et qui enrichit le lieu dans lequel on l’écoute. A côté de ça, il y a eu le rock avec Pink Floyd, qui à travers la chanson et des compositions plus structurées, plus « conventionnelles », dépeignait aussi des mondes sonores à travers des atmosphères planantes ou psychédéliques. Et surtout David Sylvian, probablement l’artiste de l’univers rock qui s’est aventuré le plus loin dans les musiques atmosphériques. Son « Flux & Mutability » est pour moi l’une des plus belles choses jamais produites dans ce registre…

Quand j’ai commencé à voyager en Afrique où j’ai enregistré beaucoup de musiques, j’ai rencontré d’autres formes musicales très concrètes, très ancrées dans le réel et dans la dimension sociale, et moins dans « l’imaginaire ». Celles-ci m’ont ouvert entre autres la voie vers l’immense et fertile galaxie du jazz.. En bref, mon rapport à la musique fut tout un cheminement jusqu’à aujourd’hui. Mais pour revenir à l’électronique, et c’est vraiment essentiel, il faut distinguer l’approche « cinématique », avec des musiques qui nourrissent l’imaginaire, et l’approche « ambient » qui, au contraire, vient complètement et habilement s’insérer dans le quotidien et l’environnement, à travers des hauts parleurs, un peu comme l’encens va venir s’insérer dans la dimension olfactive.

C&O : Justement, considères-tu l’ambient comme une musique à part entière ? En effet, on y trouve en général ni rythme, ni structure, ni mélodie…

BL : Oui, tout à fait. A travers l’humanité, dans la formidable diversité des cultures, on observe des musiques qui sont faites de manière incroyablement différentes, avec des façons singulières aussi de les écouter, de les appréhender. Impossible donc d’établir des critères pour dire si oui ou non telle musique en est bien une. Il y a musique à partir du moment où il y a une intentionnalité esthétique. Rythme, mélodie, harmonisation, sont des outils qu’on peut   utiliser (ou pas) en fonction de la forme musicale souhaitée. Dans l’hypnotique musique de gong Gangsa du nord des Philippines, il n’y a pas de mélodie, mais des motifs rythmiques entrelacés. Chez les Tomarahos du Paraguay, on chante de véritables paysages sonores sans rythme ni mélodie. Et tout cela est de la musique. Seuls les intégristes de tout poil cherchent à exclure de la pratique (et l’écoute) de la musique les formes qui ne leur conviennent pas, comme les Talibans pour qui la « vraie » musique s’arrête à la musique religieuse musulmane. Gardons-nous de suivre leur exemple et acceptons tout le monde. Même le grindcore de Jérémy ! (rires)

Incubation

C&O : Comment est né ton dernier album « Incubation », et avec l’aide de quels moyens technologiques ?

BL : « Incubation » vient d’un morceau de 12 minutes qui s’appelle « Conception », que j’avais composé pour la compilation d’ouverture du label Free Floating. Courant 2011, je me suis amusé à le « stretcher », à le rallonger pour en faire une version de 70 minutes. Si je jugeais l’ensemble encore incomplet, j’y voyais là le potentiel pour en faire un album entier que j’allais baptiser « Incubation », la suite thématique donc de « Conception ». Mais il fallait l’enrichir, y ajouter encore des choses. Parallèlement à ça, j’avais fait des enregistrements d’ambiances sonores nocturnes dans la ville de Fianarantsoa à Madagascar, avec des vélos qui passent, des gens qui discutent, qui rigolent, et puis d’autres dans le village rural d’Isorana, où l’on entend des tapis d’insectes, des oiseaux, quelques gouttes de pluie.. J’avais très envie de créer quelque-chose à partir de cela sans savoir quoi exactement, et c’est très naturellement qu' »Incubation » est venu de la rencontre de ces deux idées.

Je me suis attelé à la tâche il y a un an, avec beaucoup de travail à l’arrivée. J’ai ajouté aux « drones » et aux enregistrements naturels d’autres sonorités électroniques créées à partir de synthétiseurs virtuels, analogiques et de guitare électrique. L’outil principal qui me sert à assembler tout ça et à faire le travail de composition, c’est le logiciel Protools. Si Brian Eno comparait ses œuvres musicales en solitaire à de la peinture, moi j’ai envie de comparer les miennes au travail de jardiniers paysagistes, des gens comme Camille Muller par exemple, avec ses créations à la fois « sauvages » et habilement composées. Les japonais sont également extraordinaires dans ce domaine, en créant des jardins qui ont l’air naturels bien que réalisés par la main de l’homme. « Incubation » et « Perdide« , mon album précédent, sont un peu conçus et pensés comme des « jardins sonores » : j’essaye de faire en sorte que le paysage sonore que je compose paraisse naturel, vivant, organique, et en même temps dans un assemblage harmonieux et poétique.

Cela se joue tant au niveau du son, avec de multiples niveaux de profondeur une grande minutie dans le détail, que de la durée, avec une gestion délicate du temps qui passe. Comme avec les plantes d’un jardin, il faut jongler avec l’imprévisible, le naturel, et j’introduis pour cela beaucoup d’aléatoire dans la composition, la musique vit en partie par elle-même, les éléments sonores interagissent entre eux, et j’observe, je réoriente, je prends un élément pour le « replanter » plus loin et voir comment il se sent… Un véritable écosystème musical !

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C&O : « En écoutant « Incubation » ou « Perdide », on a l’impression, et c’est là une métaphore cinématographique, d’assister à un long plan séquence de plus d’une heure, permettant à chaque auditeur de se faire son propre film intérieur.

BL : Oui, c’est bien vu ! Ces deux albums ont été en effet conçus comme de la musique cinématique, et non « ambient », même si on peut aussi les écouter de manière ambient, c’est à dire les laisser se diffuser dans la pièce pendant qu’on fait autre chose. En général, je compose sur un format d’1h10 ou 1h20, car c’est la durée maximale du CD. Mais je pense « exploser » cette durée prochainement. C’est d’ailleurs un gros boulot car il faut réécouter l’œuvre plusieurs fois, si possible ailleurs qu’en studio, pour l’entendre autrement, dans sa durée complète. Et puis, avec la partition électronique de Protools sous les yeux, je m’attache beaucoup à varier les climats dans une même pièce. On a l’impression comme ça que cette musique est très stable, alors qu’en fait elle fourmille de petits détails qui ont beaucoup évolué progressivement, sans qu’on s’en rende compte, avec des micro-événements qui se produisent ici et là. « Incubation » est vraiment comme ça, avec un caractère très onirique puisqu’il hésite entre les ambiances ville et campagne. C’est vraiment une expérience à vivre en temps réel !

C&O : On voit donc qu’il n’est pas si aisé de classifier ta musique, même si « ambient » reste le terme générique le plus approprié pour le public. Quel regard portes-tu sur cette scène un peu singulière et confidentielle ?

BL : L’ambient est en effet un domaine très confidentiel, et puis en même temps, il y a énormément de gens qui produisent ce genre de musique, ce qui en soit est très positif. Cela est dû en partie au formidable développement de l’informatique personnelle à la maison depuis le début des années 2000. En folk (au sens large du terme), on a assisté un peu à la même « explosion » que pour l’ambient, car la formule musicale reste également simple à mettre en œuvre à domicile, avec peu de moyens sous la main. Pour l’ambient, un simple synthé virtuel peut suffire à se lancer ! Il y a donc eu une vraie démocratisation de la création musicale, depuis la composition à la diffusion, en passant par la production. Du coup, des myriades d’artistes ont fait leur apparition sur le web, diversifiant par la même le genre en multiples sous-catégories où on peut se perdre même quand on s’intéresse de près au style musical en question ! Il y a tellement de choses qu’il est tout aussi difficile de découvrir l’ouvrage qui va vraiment vous toucher.

Personnellement, je tend à rester fidèle à des cercles et des artistes que je connais bien. Mes derniers coups de cœur dans ce genre sont « Rêverie » d’Alio Die et Antonio Testa, « Low Volume Music » de Steve Roach et Dirk Serries, « Lux » de Brian Eno, bref des classiques ! Ce qui ne m’empêche pas de découvrir de nouveaux créateurs, comme récemment Aythar, un musicien hongrois qui fait une space music technoïde très élégante, et les compatriotes de Space Megalithe et leurs belles séquences à l’ancienne… En fin de compte, malgré la prolifération de publications ambient, les oeuvres qui parviennent à me faire vibrer, à m’émouvoir, à m’émerveiller, restent rares. Pour cela, il faut une finition sonore délicatement ciselée, ainsi qu’une certaine forme organique, c’est-à-dire que la musique, fût-elle 100% synthétique, respire comme de la musique vivante. Surtout, je suis sensible au fait que la musique exprime une chaleur émotionnelle, une douceur, parfois mystérieuse, nécessairement profonde, qui fasse que l’expérience de l’écoute soit intense, humaine et mémorable.

C&O : Finalement, peut-on dire que cette scène a pris de l’ampleur grâce à des réseaux sociaux tels que Myspace ?

BL : Les années Myspace étaient vraiment très intéressantes, car elles m’ont permis de découvrir plein de choses que je prenais plaisir à écouter, mais surtout à communiquer directement avec les artistes. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai fait ta connaissance Jérémy, parmi d’autres personnes, dans des domaines musicaux qui n’ont d’ailleurs rien à voir avec l’ambient ! (à l’époque, Jérémy Urbain publiait ses propres compositions électroniques « abyssales » sous le nom de Sedna). C’est d’ailleurs dommage que cet outil, qui a un peu périclité, n’ait jamais été remplacé dans son utilisation originelle. Pour ce qui est de la scène ambient, je suis l’actualité, un peu en pointillé je dois dire, via Relaxed Machinery et Hypnos, deux labels/forums qui sont très actifs dans ce domaine.

C&O : As-tu déjà collaboré avec d’autres artistes du courant ambient, et avec qui aimerais-tu pouvoir le faire, à l’occasion d’un concert ou d’un enregistrement en studio ?

BL : Je n’ai jamais collaboré avec des musiciens qui se revendiquent de l’ambient, mais je reste ouvert à cette idée si un projet excitant venait à se profiler. Par contre, j’ai eu l’occasion de mettre mon savoir faire en la matière dans des domaines et des styles musicaux qui n’ont rien à voir avec ça, et c’est particulièrement intéressant comme expérience. J’ai pu ainsi mélanger la musique électronique avec le slam, mettre en musique des textes poétiques en studio où en direct sur scène (avec Philippe Vallin, à l’époque où les deux travaillaient ensemble sur des projets artistiques intergénérationnels à Saint-Denis, tels que « Face cachée » ou « Générations Slam » avec l’atelier de Grand Corps Malade). J’adorerais aujourd’hui développer d’autres expériences de mélanges des genres, que ce soit avec une chanteuse indienne, de la vièle Mongole, des gongs des Philippines ou je ne sais quoi encore !

C&O : Peux-tu nous en dire plus sur tes expériences « live » en matière de musique ambient ? En effet, en écoutant « Incubation », on a du mal à imaginer que ce style, en raison de son caractère extrêmement statique et éthéré, puisse faire l’objet d’un concert à part entière !

BL : Pour moi, il y a deux choses : l’approche « cinématique », avec laquelle on va accompagner l’imaginaire, et l’approche « ambient », avec des musiques qui viennent se poser dans un lieu. Ces dernières, dans aucun cas, ne peuvent se jouer en concert face à un public. En gros, quand on écoute de l’ambient, c’est qu’on est en train de faire autre chose à côté ! Ca fait partie de l’environnement, comme en ce moment, dans ce café, on discute en entendant d’autres gens qui parlent, les passants qui circulent, le chant des oiseaux, etc. La seule différence, c’est qu’au lieu que ça arrive par accident, c’est composé spécialement. Dans ce cas, ce qui serait approprié sont des installations, avec un paysage sonore diffusé en continu à travers de multiples haut-parleurs disséminés un peu partout. Je n’ai pas eu l’occasion d’en réaliser moi-même, mais cela m’intéresserait beaucoup, pourquoi pas dans une vieille église, dans un parc, un château, un musée, etc.

 

 

Concernant l’approche cinématique, j’ai eu l’occasion de la mettre en œuvre en public à divers reprises. Par exemple dans le cadre d’un ciné-concert avec Philippe (qui n’est pas que chroniqueur de musique !) et un autre musicien, Mathieu Le Rhun : nous avons projeté un segment de 20 minutes du film « Baraka » de Ron Fricke sur lequel nous avons joué notre propre composition, à base de musique électronique de flûtes du monde, de derbouka, de guimbarde, de piano à pouces, de bols et cloches du Tibet…. Rien n’était pré-enregistré ou programmé, c’était vraiment du jeu live, tout le contraire d’une installation sonore !

 

Une autre expérience intéressante, toujours avec Philippe, fut le premier concert « Face cachée » à Saint-Denis, mélange de musiques variées, chansons et slam. Il y avait un petit peu de tout dans ce projet collectif bigarré ! On avait souhaité que ce spectacle commence un peu comme du Pink Floyd, avec de belles lumières, et j’ai introduit celui-ci par une longue pièce instrumentale. Là, j’avais utilisé autre chose, je jouais sur un synthétiseur, mais avec un effet delay très très long, un peu comme des boucles de « Frippertronics » (technique de loop développée par Robert Fripp, le guitariste de King Crimson), avec des sons qui apparaissent puis disparaissent pour laisser la place à de nouveaux, ce qui donnait un monde sonore en évolution permanente, depuis des grondements orageux jusqu’à une illumination finale ! Ce moment fut très excitant à vivre en tant que musicien, et l’impact sur le public, pas forcément familier de ce type d’expérience par ailleurs, semble avoir été assez intense ! J’aimerais à l’avenir développer sur scène le côté électroacoustique en amenant et incorporant des percussions, des guimbardes, des flûtes, des guitares, des gongs, etc.. Bref, de belles choses et formules à inventer, mais qui demandent beaucoup de moyens !

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C&O : Tes derniers gros coups de cœur en matière musicale, tous genres confondus ?

BL : Je ne suis absolument pas l’actualité musicale, même si j’écoute beaucoup de choses différentes. Par exemple, je me suis replongé aujourd’hui dans Zapp, un groupe de funk électro des années 80 mené par Roger Troutman. Hier, c’était « Power Spot », album du trompettiste Jon Hassell que je connais par cœur. Et avant encore, c’était la délicieuse soul de Minnie Riperton. Récemment, j’ai découvert l’album de Curt Smith (Tears For Fears) « Halfway, Pleased », avec ses jolies chansons pop très douces emplies d’émotion, très gilmouriennes, et doté d’une production hyper sophistiquée, une sorte de No-Man (projet à géométrie variable de Steven Wilson et Tim Bowness) pour de jeunes filles en fleur on va dire ! (rires)

C&O : Tu diffuses ta musique gratuitement sur Internet. Quel regard portes-tu sur le marché du disque aujourd’hui, et sur les nouvelles manières de « consommer » de la musique, tels que le téléchargement légal ou illégal de fichiers MP3 ?

BL : Si on était dans les années 90 aujourd’hui, ou en tout cas dans un état du marché du disque équivalent, j’aurais peut-être le plaisir de voir mes albums sortir en CD. Dans le contexte actuel, éditer dans ce au format serait toute une aventure économique, très lourde à gérer, et qui plus est pour un public aussi restreint que confidentiel. C’est donc un peu par défaut que je diffuse tout gratuitement sur Internet, ce qui me permet par ailleurs de maîtriser la chaine de bout en bout, y compris le graphisme, pour moi essentiel. Mais c’est un vrai petit bonheur que de pouvoir offrir ma musique, savoir qu’elle va être écoutée et si possible appréciée ! Maintenant, s’il y avait un retour économique à la hauteur du labeur et du temps consacré, cela me permettrait d’aller plus loin dans le travail, d’ouvrir de nouvelles pistes, de nouveaux projets, de rencontrer plus de gens… Bref, ce serait au final bénéfique pour tout le monde.

Mais malheureusement, nous n’en sommes pas là aujourd’hui. J’aimerais aussi pouvoir mettre à disposition mes albums au format Wav, c’est-à-dire sans aucune compression, surtout quand on connait le soin que j’apporte à la « définition sonore » de ma musique. Pour revenir au format CD, c’est agréable il est vrai de pouvoir diffuser ses œuvres sur de beaux supports, et réaliser des objets classieux, qui peuvent se transmettre de la main à la main. Je pense que nous sommes en ce moment dans une phase exploratoire, une phase de transition vers on ne sait pas trop quoi pour ce qui est de la musique enregistrée et de son devenir, sa façon de circuler, de rencontrer ses auditeurs…

C&O : C’est pourtant dans les milieux les plus confidentiels qu’on trouve encore le plus de supports physiques ?

BL : Oui c’est vrai, dans ces « niches » où les mélomanes, plus exigeants en terme de qualité sonore que le très grand public, souhaitent que la musique soit accompagnée d’un bel écrin. D’ailleurs, s’il s’avérait qu’il y a 1000 personnes dans le monde qui soient prêtes à payer une souscription pour mon prochain album, ça m’intéresserait complètement de l’éditer sous la forme d’un bel objet ! Dans ce domaine, Marillion est peut être le plus grand groupe du monde (rires), avec cette manière élégante et intelligente de gérer les aspects économiques inhérents aux publications régulières de divers supports collectionnés par les amateurs (albums studio, live, collectors, DVD, Bluray, etc.), de soutien aux tournées et autres concerts événementiels par le monde, grâce à un relationnel fort entretenu  avec leur base de fans, même si je n’aime pas trop ce mot là. Leur démarche est vraiment assez unique et remarquable !

 

 

C&O : Enfin, quels sont tes projets en cours ? (albums, concerts, etc.)

BL : Je suis en train de mixer le premier album du groupe Tanga, une famille de paysans musiciens et danseurs des hautes terres de Madagascar. On est là dans un registre très différent, et il n’y aura aucun apport de musique électronique de ma part. cet hiver, je vais aller tourner un film documentaire sur eux. Ces gens magnifiques ont un sens incroyable de l’harmonie et de l’équilibre, et l’interaction de leurs activités agricoles et artistiques nourrissent de façon admirable une vraie joie de vivre au quotidien. Il se peut que je compose quelques textures sonores pour la musique du film.. Côté musiques électroniques, je suis en train de réfléchir, mais cela reste encore très embryonnaire, à quelque-chose qui sera certainement un triptyque thématique, avec un concept très « végétal ». Le projet est donc encore en phase… d’incubation ! (rires)

C&O : Un petit dernier mot pour Clair & Obscur peut-être ?

BL : Je suis avec attention le fil de vos publications quotidiennes, peut-être d’ailleurs mon seul lien avec l’actualité musicale ! Ce qui me plait dans votre démarche, c’est le fait d’assembler sur le même espace, et avec un esprit très convivial, des genres musicaux assez variés, certes très centrés sur la planète rock, mais en y explorant des zones peut-être moins connues, moins fréquentées. Certaines choses me sont d’ailleurs complètement hermétiques, car on ne peut pas être sensible à tout ! Dans la forme, le site est très clair, et bravo pour le fait d’illustrer chacune de vos chroniques par une petite vidéo musicale qu’on peut écouter simultanément à la lecture de l’article. C’est vraiment une formule merveilleuse ! Continuez donc à ouvrir le champ des possibles et les horizons, en allant voir pourquoi pas du côté du jazz, du néo-classique, de la word-music improbable, j’en serai le premier ravi ! Merci à vous, c’est un vrai plaisir de venir partager dans vos pages mon regard sur la musique. Et longue vie à C&O !

Propos recueillis par Jérémy Urbain & Philippe Vallin

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Boris Lelong sur le web :

http://www.borislelong.fr/

http://www.altamiramonde.net/

http://www.lejardinmigrateur.fr/

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