Blurr Thrower – Les Voûtes
Les Acteurs De L'Ombre
2021
Jéré Mignon
Blurr Thrower – Les Voûtes
Qu’est-ce que le spleen parisien ? Bizarrement c’est la première chose qui m’est venue à l’esprit à la simple vision de la pochette du premier album de Blurr Thrower. Pochette hors des clous en ce qui concerne le black metal, mais pas si rare que ça et encore moins anodine. En ce vase, sortant tout droit de chez Truffaut ou Nature et Découverte, posé sur un parquet plus beau qu’il n’y paraît, ces fleurs belles, innocentes, brillantes, trop charmantes même, se cache un mal-être, ce vague-à-l’âme inhérent au citadin. Cette manière de montrer une façade esthétique au lieu d’embrasser à pleines mains ce sentiment de solitude et de déception dans un appartement quasi carcéral.. Car ces fleurs, elles vont faner, car non entretenues, et périr dans la moisissure avant d’être jetées dans la poubelle à usage unique alors que le vase, lui, restera intact en attendant les prochaines visites et apéros improvisés. En cet objet résonne un état d’esprit, ce spleen, cette mélancolie du trop proche, trop lointain, tellement seul… L’apparat se confronte à la réalité, quelque chose qu’on cherche à cacher dans un bibelot mais concentrant tout le vice, la perdition et l’atermoiement d’une société plus encline à la délation qu’au partage. Tout ça en une seule image.
Le projet Blurr Thrower n’en est pas à son coup d’essai. Le one-man band avait déjà tapé fort avec les Avatars Du Vide, EP sans compromissions révélant, déjà, un certain talent (parisien ?) dans un black metal atmosphérique, proche de ses racines les plus nordiques et en même temps habité d’une saveur de montagnes russes aussi déliquescente que virulente. Pourquoi j’en reviens à Paris ? C’est parce que le projet l’est, déjà… Mais, en plus, il a su capter cette solitude dans la foultitude, cette volonté de paraître au lieu du vivre… Un déni plus habile qu’un vaccin. Ce sont les frissons d’angoisse qui font tendre les poils du bras, ce silence plus bruyant qu’un cri jeté à la fenêtre, cette rancœur enfouie qui explose sans vraiment le faire vraiment. Une attitude qui prédomine sur le ressenti du corps. Pourtant, les muscles se tendent, les yeux deviennent humides et cette envie de tout balancer… De dire un bon GROS merde à la face d’une société qu’on ne comprend plus… dans un signal d’agonie appuyé mais diffus, limite distant. Les Voutes au travers de sa pochette trop belle, trop esthétique, renvoie à ce qui est enlisé, ce trop lisse qui se fissure, craquelle et expulse sa déception, son ressentiment, son spleen… Car écouter Les Voutes, c’est se mettre à sa fenêtre avec ce faux sourire, clope à la main. Ignorer malgré soi les autres, se défaire d’une réalité crispante et malaisante entre deux gorgées d’un vin bourguignon. Bah… Après tout, autant vivre… Mais comment ? Dans des rictus signifiant que « oui ! Tout va bien » alors qu’on jette un regard vaniteux, limite méprisant, sur les travailleurs qui, eux, n’ont pas le choix… Blurr Thrower connaît son sujet mais, même mieux, le conforme et le met en exergue dans ces titres autant belliqueux qu’empreints d’une atmosphère aussi cotonneuse que virulente dans un sourire narquois… La vie n’est qu’une façade, c’est dans la putréfaction et la dégradation des choses embellies du quotidien qu’une certaine forme de vérité transparaît. Saumâtre, triste et mélancolique. Peut-être que la véritable colère, la violence qui explose réellement se passe plus dans notre tête que dans nos actions scrutées. Et Blurr Thrower d’y mettre, d’y apposer, des touches de couleurs, un semblant de chemin, qui se dessinent à mesure que l’écoute efface ce qui était tangible un instant avant…
Et c’est là tout l’exploit du projet, coller une amertume, une crispation, dans une image factice mais surtout une empreinte dont on arrive pas à enlever les traces et… quelque part… c’est beau. Beau dans son pourrissement, son mécontentement accepté et son décharnement morbide qui fait mouche. Besoin de rajouter quelque-chose ? Je ne crois pas…
https://ladlo.bandcamp.com/album/les-vo-tes