Berlin Heart – The Low Summit
Autoproduction
2022
Rudzik
Berlin Heart – The Low Summit
Est-ce que ça vous dirait un petit voyage planant au cœur de Berlin ? C’est ce que je vous propose avec The Low Summit de Berlin Heart. L’expression est judicieuse, car Berlin Heart vient en fait du nom donné au premier cœur artificiel allemand. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le groupe n’a rien de germanique. En effet, il est le projet solo de post-progressif aux ambiances cinématiques du… Parisien Vincent Blanot. The Low Summit succède à l’initial Mute ln The Sea (2020) qui avait déjà attiré mon oreille à l’époque, mais que je n’avais pu chroniquer, faute de temps. Il ne s’agit pas vraiment d’un album concept même s’il raconte un voyage imaginaire apparenté à la vie.
Trois longues années ont été nécessaires pour mettre en musique les paroles dont Vincent avait déjà accouché avant de sortir un Mute In The Sea plus électro et froid, car si The Low Summit souffle le chaud et également le froid, il est nettement plus organique que son prédécesseur. Loin de décrire une classique montagne, il faut plutôt comprendre ce « bas sommet » un peu comme un volcan à gravir pour ensuite s’enfoncer au plus profond de ses entrailles. Les titres se succèdent pour dépeindre tous les sentiments et les états d’âmes par lesquels passe invariablement un voyageur de la vie. L’euphorie et l’enthousiasme des débuts, la douleur et les doutes face aux évènements tragiques, les regrets et les ressentiments avec en point d’orgue, l’excellent et sombre « Lost House ». Cette plage illustre en particulier le deuil, le tiraillement permanent entre le clair et l’obscur (ça ne vous rappelle rien ?). Le pavé éponyme décrit un cataclysme qu’on espère unique dans une vie alors que par la suite, l’album s’oriente plus positivement pour conclure que chaque période sombre doit laisser place à un futur moment de lumière… parce qu’il faut bien avancer. Pas évident pour tout le monde ça !
La musique de Berlin Heart n’est pas d’une complexité folle, bien que le travail aux guitares, avec une large place laissée à l’acoustique, à la basse et à la batterie, soit de très haut de gamme. Elle fait des incursions répétées dans l’électro, la pop, le folk, l’ambient, le rock et même le metal. Bah, c’est quand-même du prog quoi ! Vincent possède une fibre artistique très développée qui va bien au-delà de la musique. Les intro et outro (« The Poringland Oak », « Mousehold Heath ») sont directement inspirés par le travail de John Crome, un peintre romantique du XIXéme siècle. Et de l’inspiration, Vincent n’en manque pas, lui qui propose un voyage musical changeant de près d’une heure, peignant chaque titre avec talent et goût. La principale caractéristique de The Low Summit est la richesse des vocaux et l’utilisation récurrente d’instruments à cordes acoustiques. Les rythmiques et mélodies sont faussement simplistes. Nous en avons un très bon exemple avec « Apical Bud » et sa rythmique dépouillée façon « Solsbury Hill » de Peter Gabriel qui mute sous l’impulsion d’une batterie versatile puis étonne par son alternance de riffs acoustiques (complexes) et métalliques. Vincent semble beaucoup aimer les sonorités acoustiques sèches et aigües façon mandoline que l’on retrouve sur plusieurs titres comme « The Poringland Oak » ou « Solar ». Il s’autorise également quelques ajouts de violon mélancolique sur « The Innocents » ou « She Dreamed Of A Pale Light ». Cependant, il ne dédaigne pas les riffs bien métalliques proposant des parties sévèrement burnées sur « Crystal Morning », « Lost House » et surtout sur l’épique « The Low Summit ». Au niveau des vocaux, on est ébahi devant autant de richesse et de justesse. Le chant de Vincent m’a régulièrement rappelé celui du Lillois Nicolas Chapel, lui aussi à la tête d’un projet solo, Demians, auteur de quatre magnifiques albums entre 2008 et 2016 et disparu de la circulation depuis. Ces vocaux cinq étoiles étincellent sur un « Still Life » gentiment syncopé, se montrent planants sur « She Dreamed Of A Pale Light » et occupent tout l’espace sonore le temps d’un « Dead Leaves » volontairement dépouillé musicalement. Cette performance, injustement résumée ci-dessus à trois titres, transpire sur tout l’album. Le meilleur exemple serait un « Lost House » débutant par un chant très grave presque incongru dont les harmonies vocales multiples se greffent au fur et à mesure de l’avancée de cette mélodie indolente et classieuse. Seules de multiples réécoutes de chaque chanson peuvent permettre de mesurer toute la complexité de ces nappes vocales magiques superposées, mais jamais surabondantes (Berlin Heart, c’est tout sauf Ayreon).
Histoire de colorer un peu plus le tableau, Berlin Heart c’est aussi des touches de violon, en particulier sur « The Innocents », et de saxo. Alors immédiatement, on se dit que The Low Summit cherche également à se revêtir d’influences jazzy. Personnellement, ça n’est pas l’impression que j’ai eue et c’est tant mieux, car je ne suis pas fan des cuivres et des plages jazzy à outrance. Au contraire, certaines parties de saxophone alto donnent lieux à des joutes rocky étonnantes avec la guitare lors de soli alternatifs ébouriffants (« Crystal Morning » et « Lost House ») alors que les cuivres de la fin de « Still Life » rappellent certaines expérimentations des Beatles, période Sgt. Pepper’s. Plus que vers le jazz, c’est vers des contrées post rock que Berlin Heart nous emmène également. S’il évite le piège de la répétitivité et de l’ultra simplicité des riffs de ce genre musical sur « Still Life », il y tombe un peu plus avec « Solar » cependant sauvé par sa rythmique originale façon mandoline. Venons-en à la pièce éponyme maîtresse de cet album et son quart d’heure créatif. Ce titre fleuve juxtapose des ambiances très contrastées allant du folk au heavy metal le plus brut en passant par l’ambient avec un soupçon d’orientalisme vers son final. J’ai employé à dessein le terme « juxtapose » parce que, d’une part, il n’y a rien à jeter et le recours au bicarbonate de soude pour digérer ce pavé est superflu ; d’autre part, le principal reproche que l’on pourrait faire serait qu’il n’y a pratiquement aucune transition entre les différentes parties. Chaque ambiance aurait pu faire l’objet d’une chanson individuelle. Autrement dit, long ne signifie pas forcément épique. Alors, « The Low Summit » aurait certainement mérité des transitions plus dignes et un final qui ne soit pas une décevante queue de poisson. Attention, je ne descends pas ce titre qui comporte, là encore, tous les éléments de qualités exprimés tout au long de cette chronique. Certaines ambiances y sont réellement impressionnantes, en particulier les deux parties heavy. Celle chantée en début de titre surprend et montre que Berlin Heart ne tient pas à se confiner dans quelque chose de plus léger et puis celle instrumentale de metal en fin de la chanson donne des frissons et font passer des moments transcendants avec des vocaux exceptionnels et des nappes de violon orientales.
The Low Summit a débarqué dans mon paysage musical en fin d’année, mais cette fois-ci, je ne ferai pas l’erreur d’oublier de le faire figurer en très bonne place dans mon top ten des albums de 2022 comme ça a pu m’arriver précédemment avec Giant Sky. L’opus de Berlin Heart est réellement une des bonnes surprises de cette année surtout riche en… mauvaises surprises justement (pas forcément musicales). Il réussit un sans faute en matière de compositions et la performance vocale qu’il propose est de très haut de gamme. Souhaitons à son leader Vincent Blanot de rencontrer tout le succès qu’il mérite avec ce projet d’une élégance rare.
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