Ben Frost – A U R O R A
Bedroom Community/Mute
2014
Jérémy Urbain
Ben Frost – A U R O R A
Le plus drôle (ou le plus affligeant, c’est selon), c’est que quand j’ai commencé à travailler un semblant de structure, une vague ébauche d’écriture sur le dernier travail de Ben Frost, je suis tombé, par simple curiosité toujours, sur les chroniques de la toile. La vache ! C’est qu’il en prend cher pour son grade l’australien exilé en Islande. Mais qu’est-ce qu’il a fait pour mériter ça ? J’avoue, perso, que je ne pensais pas que « Aurora » en prendrait autant sur la poire, à tel point que certains se sont permis une analyse track by track. Wow ! Hallucination rétinienne. Un décryptage titre par titre pour de la musique électronique, ambient et bruitiste ? Sérieux ? Hé, ce n’est pas du metal alternatif, les gars ! C’est fou, comme les gens peuvent être si facilement déçus entre deux albums et parfois étonnamment rigides, même si certains n’ont pas connu l’époque « By The Throat ». Que les puristes se rassurent, ce dernier n’est pas détrôné. Par contre, cela méritait-il vraiment, un tel déballage ? Franchement ! On parle, à maintes reprises de synthés jeux-vidéos kitchs. Euh… On n’aurait pas oublié Oneohtrix Point Never au passage ? Parce qu’au niveau kitsch assumé qui plait, ça se pose là. Et perso, je trouve ça plus désagréable car établi dans une strate intello hype pseudo vintage. Cela n’enlève toutefois en rien la sympathie que j’ai pour Oneohtrix Point Never, d’ailleurs.
Ben Frost, à chaque fois que j’écoute, je ne vois nullement de gratuité, et encore moins de mauvais goût, mais bien une logique structurelle, sérieuse, sincère, lorgnant vers l’expérimentation. Et puis, je ne comprends pas l’argument : c’est bobo, donc ce n’est ni beau ni bon (laissons de côté la problématique liée à l’esthétique). Mis à part un grand nombre de « bobos », même non revendiqués, je ne vois vraiment pas qui peut écouter cet album. La musique électronique est tellement sélective, complexe. Tiens, je viens de me rendre compte que j’en suis un… Merde ! Autre chose, le mélange de bruitisme (bien que subtil ici) hérité de l’industriel avec de la mélodie. Euh… On sait que c’est du Ben Frost quand même. C’est pour ça qu’il s’est fait connaître le mecton, au même titre qu’un Bad Sector. Rendre mélodique aux oreilles contemporaines ce qui, à la base, ne l’est absolument pas, vous voyez un peu le propos.
Il y a bien un aspect plus trance chez Ben, du genre dancefloor d’aliens. Il n’empêche : on est bien catapultés dans l’espace. Agressivité et mélodie en un seul point de jonction, à tel point que je ne suis absolument pas offusqué par un rythme quasi black metal (faut-il d’ailleurs que je ressorte les groupes qui travaillent sur ce thème, Darkspace compris ?). Bordel, enfin quelque chose qui coupe la linéarité d’un tel album dont le schéma semble à l’avance pré-calculé et auto-digéré : en effet, la musique électronique a ses schémas, ses codes. La faute que j’incombe à Frost sur « Aurora » est d’avoir bouffé les invités au détriment du tribal auquel on était en droit de s’attendre au vu de la promo. Quand même, un membre de Secret Chief 3 et le néandertalien Thor Harris des Swans aux percussions, ça a du bagou sur le papelard. Et bien, on ne les entend pas vraiment, au final. Là est la faute pour moi (mauvaise pub, mixage à l’arrache). Pas le reste de ce que j’ai pu lire (à croire que je n’ai que ça à faire).
« Aurora » est bénéfique malgré ça, puissant même, avec des moments de distorsions de matières grandioses, hallucinogènes, un montage quasi-cinématographique qui passe allègrement du plan-séquence au kaléidoscope subliminal (une étoile, une mort, une accélération des protons, un paysage figé par l’infini). Et pourtant, on le dégomme. Mais si on le remet souvent à l’écoute, c’est qu’il a un côté bigrement attractif malgré tout. « Aurora » fait partie de ces disques qui gagnent la sympathie avec le temps et le nombre d’écoutes répétées. Il en ressort : intelligence d’écriture, émergence de mélodies aimantes et attachantes, désarmantes de naïveté astrale entre copulation de sonorités dans une orgie incestueuse et non moins délicieuse.
Ben Frost ne montre et ne démontre pas, mais il arrive à nous emmener dans une sphère cosmique, protéiforme, mouvante, chaude et tactile, où chaque forme se détruit en en créant une nouvelle. Une aurore point le bout de son museau, élastique. Les mecs, écoutez vraiment un album avant de le descendre track-by-track ! « Aurora » est addictif, un « Solaris » grésillant auquel il manque un certain « punch », si je peux m’exprimer de la sorte, mais qui, en contrepartie, gagne en images et en immersions sensorielles.
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