Barney Wilen – Moshi
Souffle Continu Records
2017
L’Afrique inconnue.
Base d’un voyage initiatique où la socio-éthnologie se confondait avec une démarche d’ouverture et spirituelle. Posture d’une autre époque, d’un autre temps, de relations et de rencontres disparues, de découvertes oubliées, de contextes géo-politiques complexes et abscons. Une empreinte dans une terre désormais sèche et durcie. Moshi vit le jour après un voyage qu’entreprit Barney Wilen (ayant forgé ses armes avec Miles Davis tout de même), en compagnie de Caroline de Bendern, traversant l’Afrique de l’Ouest durant presque deux ans. Caméra au poing, micros à l’affût du moindre son, voitures remplies de médicaments, hasard d’une rencontre qui s’éternise pour terminer dans le lit d’un fleuve, perte du temps, de l’espace et de la valeur pécuniaire de toute chose. Moshi est un espace de liberté totale, d’insouciance et d’expérimentation. Expérience d’une vie fantasmée à découvrir cultures en pagaille, émotions, instants gravés dans la tête qu’on peine à retranscrire et d’improvisations salutaires au rythme de claquements de mains.
Mélange de free-jazz et de world music en avance sur son temps, prédisant les sorties world qui allaient pulluler dans les années 80, Barney Wilen a construit Moshi, quasiment malgré lui, comme une pièce à part, un réceptacle d’une traversée qui ne se fera plus, un compte-rendu intense où l’on oublie les frontières d’un continent écartelé, les guerres civiles sanglantes et les dérapages religieux incontrôlables. Entre les musiques enregistrées sur l’instant, les field recordings respirant la danse, les soirs chauds et moites autour du feu, les sourires, l’enthousiasme communicatif et ce que Barney Wilen a mis sur bande, la tête embuée de souvenirs, une fois rentré en France… Entre conversations prises sur le vif amenant tout autant le sourire de l’incompréhension que l’interrogation linguistique légitime et mélodies folles lorgnant tout aussi bien vers un Miles Davis qu’un Pharaoh Sanders, Moshi est d’un plaisir d’écoute indéniable, simple et avide, aussi bonasse qu’un échange farfelu au coin d’une maison, transformée en jazz-club de fortune, alors qu’on époussette son saxophone. Bien simple, changer de face revient à de la torture tant on veut découvrir la suite et qu’on se refuse en même temps à quitter les rivages récemment écoutés. Autant cet album revenait de la gageure à l’époque, autant maintenant il apparaît comme essentiel. Saluons pour cela le travail de Souffle Continu pour le remastering d’une qualité juste exemplaire, qui ferait (et fait) planer les plus rétifs L’objet en soi avec son livret de photos d’archives et l’apport du documentaire granuleux et sensuel d’une quarantaine de minutes de Caroline de Bendern consolident l’armature de l’ensemble avec images et couleurs.
Revoir À l’intention de Mademoiselle Issoufou A Bilma et réécouter Moshi de nos jours est en soi un privilège, la même joie qu’écouter la voix de mon arrière grand-père que je n’ai jamais connu et d’en saisir toutes les finesses dans une sarabande aussi frénétique qu’enjouée. Cela date de 1972 et j’aurais presque voulu qu’il sorte seulement maintenant…
Jéré Mignon
http://www.barneywilen.com/
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