Autechre – Exai
Autechre
Warp
Autechre est un microcosme dans un crâne. Un système de vie ayant atteint sa propre autonomie dans les bugs d’un logiciel trop bien fait pour rester cloisonné. Autechre vit pour soi et en soi. Chaque son est une trace d’univers, un brin d’herbe holographique, un lever de soleil métalliquo-spectral, une dématérialisation du son en une infinité de pixels rythmiques. Une poésie sonore aussi fascinante qu’elle peut se révéler casse-couilles dans son hermétisme robotique désemparant. C’est peut-être là-dedans qu’on cherche une brève lueur d’humanité factice et résiduelle. Un marathon auditif, un déversement de codes d’information balancés à débit variable dont la construction s’effectue dans la fractalisation. C’est passer de l’autre côté du miroir, suivre un lapin bionique à la course biscornue. Le monde d’Autechre est aussi étendu qu’une carte mémoire modifiée. Il revient sur ses pas, se mord la queue, se trouve même désorienté, comme si ses créateurs ne savaient plus diriger leur création en Frankenstein futuriste. L’électronique auto-suffisante…
Ah oui, faut que je le dise, les termes « électro-tech-dub-chill-machin » n’ont jamais été mon fort entre autres « beat » et « kick ». Les styles moulinés par les soins de Booth et Brown ne deviennent que du Autechre, à moins que ce soit leur bestiole qui décide à leur place. « Exai », long format de plus de deux heures, est effrayant, un brin mégalo même. Il n’empêche, cela a suffi à titiller les fibres et les nerfs sensitifs de toute une partie de la population pour en voir le nouveau St-Graal abstracto-electronic. Un tel objet, un manifeste de code en carré rectangle à chopper sur son smartphone (je suis sûr que certains vont le faire) et essayer d’y trouver une signification ou un concept philosophique alien bicéphale que personne ne comprendra, pendant que d’autres essaieront de danser à s’en démantibuler chaque articulations possibles du corps, même celles qu’on ne soupçonnait pas.
On peut essayer de faire court pour parler d’un album d’Autechre mais on n’y arrive jamais vraiment. On cherche toujours à démontrer le pourquoi du comment de ce qu’on ne comprend pas, mais qu’on prend plaisir à identifier en des termes nébuleux. « Exai » est un condensé, même si on se demande si il n’aurait pas été mieux d’élaguer un peu pour ne pas boire la tasse, les rythmiques les plus déstructurées qui soient, sans surprises dorénavant mais toujours aussi attractifs aux synapses, le concassage du dub en un véhicule science-fiction, le retour hip-hop époque Lego Feet, aventureux et industriel, les lentes montées à la spatialisation délicate aux petits oignons. Il est bien long le temps de l’écrire, aussi improbable de le retranscrire. Je m’y perds, j’y perds sans doute quelque chose, mais je reviens sans cesse dessus. « Exai » me fait oublier le calamiteux « Quaristice » et son excuse « Oversteps ».
« Exai » m’énerve autant qu’il me fascine. Les sillons d’un vinyle virtuel qui, on ne sait comment, s’est bloqué dans un accident numérique que toutes les intelligences conjuguées, post-humaines et infra-mécaniques, n’auraient su prévoir. Autechre s’allonge et son glèbe est sans fin, sensible et invisible, tactile et haptique. Forcément cloisonné, forcément unique…
Jérémy Urbain (8,5/10)
http://www.autechre.ws/exai/