Arshid Azarine – Vorticity
Melmax Music
2024
Lucas Biela
Arshid Azarine – Vorticity
Je vous avais parlé il y a peu de Peyman Yazdanian. Laissez-moi maintenant vous faire découvrir Arshid Azarine, artiste d’origine perse également, et tout aussi attachant. Nous avions vu avec Peyman que le cinéma était le moteur de son inspiration. Arshid lui aussi est pianiste, mais ce qui l’inspire, c’est son métier, l’imagerie cardio-vasculaire. Il a en effet deux passions dans la vie : le piano et la médecine. Plutôt que de les vivre séparément, il s’inspire sur ce quatrième album de l’une pour créer l’autre.
Le nom de l’album nous met déjà la puce à l’oreille. En effet, Vorticity (vorticité en français) fait référence à la mesure du flux vortical, ou vortex (courant circulaire du flux sanguin autour d’un point) en mécanique des fluides. Ensuite, les compositions comportent des indices sur cette autre passion de notre pianiste. Ainsi, sur « 75.2 bpm », entre les doigts du radiologue qui tissent des circonvolutions vaporeuses et prennent le temps de développer des mélodies évanescentes, se glissent deux notes « bippées » mimant la fréquence cardiaque. De même, sur « Vorticity », autour de quelques phrases émoustillées, dans un motif hypnotique d’aller et retour que se renvoient la basse et le piano, c’est le tourbillon caractérisant le vortex du cœur qui nous est présenté. La vie en mouvement, c’est toujours elle que l’on retrouve dans « Baharoun », qui se traduit par « le printemps ».
Sur les notes ondulantes ponctuées d’improvisations d’Arshid, et avec la complicité de percussions qui mêlent entrain et soif de découverte, c’est à nouveau la vie et la recherche qui sont célébrées. Une pause s’annonce néanmoins avec « Zomorod », l’émeraude, mais étymologiquement on reste dans le… cœur ! (« cœur de pierre »). Pause en effet, puisque le rythme ralentit, on prend le temps d’admirer cette pierre précieuse. C’est du plus profond de la matière, en son cœur même, que se mettent petit à petit en place des sons gorgés de mystère et de rêve, finissant par nous éblouir comme le feraient les différentes facettes du joyau en le manipulant. Sur des percussions tour à tour enthousiastes et circonspectes, le piano se veut aussi bien prudent qu’excité dans ce parcours initiatique que nous révèle « Erevan, Tabriz, Teheran ». Plus loin, avec sa coloration grise et ses airs de marche, « Abann » (nom qu’Arshid a donné à son fils), pourrait presque rendre hommage aux mouvements d’insurrection iraniens de novembre 2019 (Abann, c’est « novembre » en perse). Ce printemps des peuples est fort bien rendu par ce bel appel d’air dans les vocalises aériennes de Bahar, la femme d’Arshid. C’est d’ailleurs ce même printemps qui souffle un vent de liberté sur le « Baharoun » évoqué avant, celui qui permet à la vie et à la recherche de s’épanouir. Et on revient d’ailleurs à la vorticité avec « Helix Of Life ». Le tourbillon tourne, mais autour d’un texte récité en français par l’actrice Golshifteh Farahani. Il est cependant compris dans un écrin de sérénité et de douceur grâce à une rythmique soyeuse soutenant les ambiances éthérées suggérées par les nappes planantes et les touches satinées de piano électrique. La vorticité cèdera la place à l’unicité dans le mot de la fin. « One for Unicity » tente en effet de rassembler les pièces du puzzle . Dans un premier temps, accompagné d’une basse qui rumine dans ses effets d’écho et de percussions hésitantes, le piano mobilise à travers son souffle exalté les espoirs autour de lui. Mais cette unicité ne semble pas acquise d’avance, comme nous le signale dans la deuxième moitié le piano qui semble troublé au milieu d’un récitatif en perse. C’est ce même équilibre fragile entre espoir et désillusion que l’on retrouve dans « Song to Jina », quand les graves du clavier cèdent petit à petit le pas aux aigus.
Avec son nouvel album, Vorticity, et entouré des fidèles Habib Meftah aux percussions et Hervé de Ratuld à la basse, Arshid Azarine nous conte des scènes sombres comme lumineuses. Il reproduit ainsi la vie avec les soubresauts et les surprises qui la rendent si fascinante, mais si difficile à saisir. S’inspirant de ses propres recherches comme des événements douloureux qui ont émaillé son pays d’origine, la grande liberté de son jeu n’en est que plus émancipatrice de notre pensée à chaque écoute.