Arman Méliès – Vertigone
At(h)ome
2015
Fred Natuzzi
Au commencement, tout était tranquille et limpide. La folk singulière de Néons Blancs Et Asphaltine nous chuchotait des poésies rêveuses, mini-films qui, déjà, s’imposaient comme des échappées salutaires. Ensuite, Les Tortures Volontaires ont fait trembler les certitudes, ont étendu le champ d’exploration et les univers ont commencé à s’entrechoquer, créant de saisissantes images. Tout s’envole avec Casino, la pop illumine les tonalités comme des bougies et nous emmène vers un ailleurs sublime. Puis, tout se pétrifie. AM IV souffle un chaud froid électrisant, figeant les coulées de lave dans d’éternelles sculptures glacées. Cette banquise musicale explose maintenant sous les coups électriques de Vertigone, comme une éruption inattendue, qui transporte tout le passé musical en le projetant très haut en une puissante et vertigineuse boule de feu. Tout ce qui composait l’univers d’Arman Méliès explose ici dans un mélange de genre hautement jouissif. La pop, la folk, le post-rock, l’électro s’intègrent dans des chansons rock où Arman Méliès évolue avec une aisance désarmante. Vertigone opère un nouveau changement dans la continuité, revenant aux bonnes vieilles guitares, plus électriques que jamais, en les saupoudrant d’un saxophone surprenant, comme s’il voulait maîtriser l’incendie, créant ainsi des volutes blanches évanescentes au cœur d’un ciel rouge sang. Les paysages musicaux se succèdent et prennent le temps de se développer : l’instrumentation à multiples strates étonne et à chaque écoute se révèlent des trésors insoupçonnés. Et la voix d’Arman, assumée et mise en avant, captive, surprend, et s’affirme sans fard.
« Constamment Je Brûle », ou comment une passion enflamme les désirs, tel un Icare trop proche du soleil. Les envolées de guitares et la voix au bord du gouffre finissent de consumer les élans. Brillant, comme ce final étourdissant. L’ivresse des vertiges jalonne « Fort Everest », instantané pop vivifiant, où une autre passion devient fatale, criant son désir d’éternité. Arman y est étonnant d’intensité. Le cinématique folk « A Deux Pas Du Barrage » retrouve les atmosphères des premiers essais, pour une rêverie onirique d’une beauté fracassante. « Tessa », reprend des nappes synthétiques mais avec une dynamique très organique, mélangeant chaud et froid avec volupté. On peut penser à sa sœur « Diva » de Casino. « Les Chevaux Du Vent Fou », cavalcade western, véritable souffle de vie que personne ne peut dompter, nous ébouriffe par son tempo au galop, et son saxo lancé contre ce vent fougueux. Bluffant. L’éternité n’est plus de mise dans l’atmosphérique « Olympe (A La Mort) ». La chute du mythe se cristallise dans la voûte céleste, instant grave et poétique, suspendu aux guitares cristallines dans les glaces désagrégées de feu Olympe. Doit-on s’attacher au passé ou le laisser sombrer ? Fascinantes, ces images saisissantes sont d’une beauté confondante.
« Mercure », parfait morceau electro pop, s’envole littéralement en brûlot rock, guitares tranchantes et aériennes à la fois, avec un saxo sorti d’ailleurs… Et puis cette phrase abyssale, typiquement Méliessienne : « Rappelle moi, tu dis qu’à deux on s’ennuie mieux ». Saluons à cette occasion la batterie (parfaite de bout en bout) d’Antoine Kerninon, qui réussit à faire oublier Loïc Maurin, ce qui n’est pas une mince affaire, ainsi que le travail des bassistes Pierre-Louis Basset et Jannick Top, le virtuose de Magma. Semblant s’échapper du précédent album, « Vertigone » tente une fuite électronique et chemine parmi les sillons scintillants des nuits étoilées, en passant par la case film noir avec un saxo dément de Adrien Daoud, non sans rappeler le Vangelis de Blade Runner ! Passionnant. Enfin, le voyage se termine avec les 8 minutes puissantes de « Le Volcan, Même ». Le titre emprunte un thème au projet Basquiat’s Black Kingdom et déploie une intensité qui prend aux tripes. Un trip flamboyant, onirique, maîtrisé, urgent. Un petit chef d’oeuvre.
Vertigone s’impose donc comme un album somme, où Arman Méliès laisse libre court à ses envies les plus aventureuses. Extraverti comme jamais, Arman donne à vivre des émotions qu’il cachait autrefois sous des trésors d’artifices savoureux que l’on prenait plaisir à explorer, nous promenant ainsi dans un jardin exotique luxuriant, bulle élégante, hors du temps. Cette galaxie a donné naissance à une autre, plus grande, plus ouverte, où le talent d’Arman explose encore plus aux yeux de tous.
Ne lâchant rien de ses obsessions poétiques et de sa musicalité singulière, Arman Méliès, réinventé, délivre un opus magistral, fougueux, unique. La marque d’un grand artiste en perpétuelle évolution.
[responsive_vid]
belle chro.
Belle chronique mais surtout bien vraie !!! Superbe album !
Merci beaucoup Yves!
Je découvre votre site à l’occasion de cette chronique. Bel ouvrage
Merci Patrick ! Et bienvenue 😉