Andy Jackson – 73 Days At Sea
Andy Jackson
Cherry Red Records
Andy Jackson est peut-être au Pink Floyd des années 80 (voire des fin seventies ?) ce qu’est Glass Hammer est au Yes de la même époque (épique) : celui qui a fait le ou les albums que Pink Floyd aurait pu faire… et notre homme y en a commis deux, dans le cas présent. Sauf qu’Andy Jackson est encore un peu plus que ça puisqu’il est un compagnon de route de longue date du Pink, dont il fut ingénieur du son sur tous leurs albums depuis le début des années 80 (puis sur leurs remasters récents), et de même sur ceux de Waters et Gilmour. Il semble qu’il a bien assimilé son rôle lorsqu’il était aux consoles car on en retrouve sur ses deux albums toutes les astuces et presque la signature : intros soignées et prolongées (disons progressives, le terme est fait pour ça, non ?), usages de samples et de voix trafiquées par divers effets, de bruits de vagues (thème de cet album) et autres bruitages en fond sonore à une musique plus progressive et floydienne que jamais. A ce sujet, on se souviendra qu’après avoir servi Pink Floyd sur leur album le plus célèbre, un autre ingénieur du son, un certain Alan Parsons, avait aussi tenté sa chance avec le succès que l’on sait, marchant plus ou moins dans leurs pas avec un prog très élaboré et « symphonique », au sens strict du terme d’ailleurs, sur son premier opus conceptuel : Tales Of Mystery And Imagination.
Pour compléter le mimétisme floydien, l’homme-orchestre Andy Jackson (qui joue de tous les instruments) joue aussi de sa voix grave et timbrée rappelant de façon surprenante celle de Roger Waters. Glass Hammer nous a aussi offert ce complément immersif à leur modèle, avec un Jon Davison au spectre vocal proche à s’y méprendre de celui de Jon Anderson, « inimitable » pensait-on… et pourtant si ! Ici c’est donc Waters, ou presque. On pourra objecter à cela que Pink Floyd avait déjà son lot de clones d’un jour ou d’un album (RPWL, Airbag, Dream Theater…) et de covers célèbres dont un Australian Pink Floyd dévoué à leur culte via ses grand-messes live. C’est aussi le cas pour Yes (Glass Hammer donc, sans oublier Starcastle), Genesis (avec Re-Genesis ou The Watch) et quelques autres. Mais après tout, le « style » Pink Floyd est quasiment un sous-genre du prog en soi ; alors, pourquoi ne pas en enfiler le costume et nous en mettre un peu plus sur la platine ? Il y a pire, comme référence, et ça n’est pas les fans qui s’en plaindront.
Andy Jackson l’a fait par deux fois. Délibérément ou en se coulant dans ce moule, parce qu’il a aussi contribué à le forger, on ne saurait dire. Après le remarqué Signal To Noise en 2014, il remet le couvert avec 73 Days At Sea, un album concept dans la même veine et le même son que le précédent : un peu trop ? Peut-être, mais ceux qui aiment ne comptent pas ainsi. Peut-on présumer que l’artwork allégorique du digipack (l’homme sur sa barque, vu de dos) est un autre clin d’œil, visuel celui-là, à The Endless River ou un simple écho et une suite logique au visuel très similaire de Signal To Noise ? Là encore, on ne saurait dire et après tout, on s’en fiche un peu. Au moins ce visuel typé (inspiré de la statuaire antique ?) se détache-t-il à la fois d’une grandiloquence panoramique à la Roger Dean (celle de Glass Hammer) et des collages à la Hipgnosis pour le Floyd, pour s’ouvrir à une autre forme d’art baroque, entre classicisme hellénique et surréalisme daliesque, bien reconnaissable et somme toute assez originale dans l’univers visuel parfois codifié du prog.
Et la musique dans tout ça ? Comme sur un Pink Floyd de la période classique, l’opus alterne epics (avec un « Drownings » dépassant les 17 minutes) et titres plus, voire très brefs en forme de transition, le tout introduit, concept oblige, par divers bruitages à connotation maritime. Tout cela s’enchaîne à l’image d’un Marillion première époque plutôt que du Pink qui (après The Dark Side Of The Moon, Wish You Were Here et The Wall), avait abandonné le principe du concept album global. Dès le bref titre introductif « Like You », on est dans le bain, figé sur place par les miaulements d’une guitare plus floydienne que celle de Gilmour lui-même ; et pourtant non, c’est bien Jackson. Et que dire aussi d’un opus sur lequel, hormis le groupe lui-même (ou l’homme orchestre unique ici), les contributions d’invités sont : un, un saxophone (celui de David Jackson du Van der Graaf Generator) et deux, une voix féminine, sur un titre ? Tout ça n’éveille-t-il pas en nous quelque souvenir issu de la face cachée des seventies ?
Comme on l’a dit, ce son floydien jusqu’aux effets, à la voix mimétique et à la guitare (diablement gilmourienne) feraient penser à un inédit du Pink « dernière » époque, celle de A Momentary Lapse Of Reason et The Division Bell (leur dernier album étant à part, à la fois très instrumental et controversé, mais ça n’est pas l’objet et on n’y reviendra pas). Peut-être le long epic « Drownings » mené par le superbe sax de l’autre Jackson manque-t-il un peu de développements et de variété dans les climats ? Mais le concept global fonctionne à plein et, sans forcément l’avoir prémédité, on se retrouve forcé d’écouter le CD comme un tout et dans sa totalité, voire de le trouver même un peu trop court, avec ses 48 minutes ?
Alors, fallait-il cet album ? Ou est-ce destiné à ceux qui n’ont jamais eu assez de Pink Floyd à se mettre sous la dent et qui accueilleront les deux opus d’Andy Jackson comme un présent inattendu tombé du ciel ? Oui sans doute, il s’impose malgré tout, et il ne s’agit nullement d’un plagiat mais plutôt d’une œuvre prolongeant le mythe, originale à sa façon et, de plus, superbement produite et enregistrée (mais comment pourrait-il en être autrement, avec ce Jackson-là et son long passé floydien !) Et tant pis si ce prog léché élaboré dans une marmite à l’ancienne ne renouvelle pas le genre car il nous offre un album aussi bon que ses modèles, voire meilleur à l’occasion. Et on en connaît au moins l’une des raisons. Andy Jackson a sauté le pas, il est passé de l’autre côté de ses consoles et, mieux que ça, il officie des deux côtés à la fois, seul maître à bord, comme dans sa barque… Il a donc gardé le son et la signature du Jackson ingénieur du son et nous a concocté avec tout ça un nouvel album comme on n’en attendait plus, après que même Pink Floyd ait arrêté d’en faire dans ce moule.
Jean-Michel Calvez
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merci!
Magnifique chronique qui reflète exactement tout ce que j’ai pu ressentir à l’écoute de ce très bel opus de Mr Jackson (en tant que vieux fan du PF). Donc pas un mot de plus à ajouter!