Andrew Bird – Inside Problems

Inside Problems
Andrew Bird
Loma Vista Recordings
2022
Thierry Folcher

Andrew Bird – Inside Problems

Andrew Bird Inside Problems

Lorsque j’ai appris qu’Andrew Bird s’apprêtait à sortir un nouvel album, c’est de l’indifférence que j’ai ressenti. Pourtant, ce natif de Chicago m’avait vraiment séduit au début des années 2000 avec ses petites merveilles pop indie complètement hors du temps et des modes. Alors, pourquoi une telle frilosité à son égard aujourd’hui ? Tout simplement parce que j’en avais un peu marre de sa tronche d’anémique, de ses continuelles tortures cérébrales et même de sa musique qui (pour moi) n’avançait plus. Et quand j’ai découvert le titre et la pochette de ce nouveau disque, j’ai pensé qu’il y avait peu de chances que je chronique un jour Inside Problems. Eh bien, que nenni les amis, me voilà les mains sur le clavier en train de m’acharner à prouver le contraire. Cela dit, la même chose s’était produite en 2019 avec la sortie de l’inégal My Finest Work Yet même si le titre et le visuel étaient autrement accrocheurs. Il aura fallu l’écoute d’une énième playlist assez molle et la découverte de « Underlands » pour remettre aussitôt les pendules à l’heure. Ce morceau a tout écrasé et face à une adversité quasi nulle, il n’a fait que confirmer l’immense talent d’un homme assez tourmenté certes mais bien au-dessus du lot. Les doux pizzicati qui introduisent ce titre lancent une mélodie qui fait mouche instantanément et qui reviendra sous différents aspects tout au long de cette fable souterraine plutôt angoissante. Bird parle ici d’un entrelacs d’idées qui a fini par aboutir à une fascinante et troublante évocation des seuils qui séparent le visible de l’invisible. Et de ce fait, l’univers caché tout comme nos problèmes intérieurs deviendront les thèmes écrits, chantés et joués de cet album qu’il faut prendre au millième degré sinon on capitule illico presto. La musique en priorité, voilà le meilleur argument que je peux avancer. Et avec « Underlands » on est servi question beauté et sensibilité. Les changements de rythme baladent notre corps de façon magistrale grâce à une batterie jazzy de grande classe (Abraham Rounds) et des orchestrations qui font briller la production limpide de Mike Viola.

Alors, selon l’expression consacrée, ce merveilleux moment n’était-il pas l’arbre qui cache la forêt ? Bien-sûr que non, sinon à quoi bon faire tout ce cinéma pour un seul titre. Voyons la suite. Comme je le disais, la prose d’Andrew Bird est assez spéciale et pas facile à décoder. On peut néanmoins s’y intéresser ne serait-ce que par respect pour le travail de l’artiste. L’écoute de « Make A Picture » par exemple est assez simple et demande peu de concentration si on se contente de déguster la ritournelle pop dans son emballage musical très avenant. Mais bien sûr, c’est plus compliqué si l’on approfondit les paroles et le message plutôt subtil traitant de la perception par notre cerveau d’images fortes (Bird parle ici d’images historiques) et de la façon dont il les restitue. Mais pour moi, « Make A Picture » reste avant tout une belle chanson avec une jolie partie de violon, un rythme entraînant de locomotive à vapeur et un ressenti plutôt gai malgré la complexité du sujet. Écouter Andrew Bird c’est passer du bon temps en compagnie d’un artiste atypique, musicien hors pair et chanteur séduisant. Les textes sont importants, c’est certain, mais ce ne sont jamais que des poèmes qui font rimer la langue anglaise de façon musicale. On peut largement se contenter de ça. Quelques mots sur l’enregistrement, quasiment live, réalisé autour d’une formation resserrée et dont l’interprétation ne s’embarrasse pas trop de fioritures. Inside Problems fleure bon les productions en prises directes du Velvet (« The Night Before Your Birthday ») avec des clins d’œil vers une époque « arty » où les idoles se lâchaient dans l’urgence pour imposer leur vision artistique, quitte à surprendre ou même gêner. Cet album m’a vraiment séduit, bien au-delà de mes espérances et certains titres comme « Fixed Positions » font partie des plus belles choses produites par le gentleman siffleur. La partie chantée est ici remarquable, d’une finesse touchante avec des chœurs et des contre-chants fort à propos (Madison Cunningham). Et que dire des sifflets aériens et des cordes puissantes ! Un vrai régal.
Andrew Bird Inside Problems Band 1

Et puis, il faut bien parler de « Eight » et de sa belle partie instrumentale menée tambour battant par un violon complètement débridé. On se rend bien compte que les paroles sont ici anecdotiques et que cette énumération assez noire sert avant tout à mettre en orbite ce fameux solo qui trouvera, c’est certain, une place de choix sur scène. Andrew Bird peut tout se permettre comme habiller sa musique raffinée d’un balancement rasta assez cocasse (« Stop n’ Shop ») ou même lorgner ouvertement vers l’exotisme (« Atomized »). Inside Problems est le genre de disque où chaque écoute dévoile des subtilités que cette seule chronique serait bien incapable de décrire de façon exhaustive. C’est donc à chacun de nous de s’approprier l’œuvre et d’en retirer le maximum de plaisir. Je faisais référence plus haut au Velvet Underground et je me demande même si Andrew n’a pas pris un malin plaisir à singer le phrasé quasi parlé de Lou Reed. On le ressent déjà sur « The Night Before Your Birthday » mais c’est surtout avec « Never Fall Apart » que le mimétisme est le plus flagrant. Une interprétation proche de l’imitation qui montre à quel point l’homme de Brooklyn manque au paysage musical actuel. Mais le plus cocasse dans tout ça, c’est qu’Andrew joue l’alternance avec son propre style, créant de la sorte un improbable mais convaincant duo. Je dois absolument revoir mon opinion sur le côté taciturne du personnage qui semble prendre ici un réel plaisir à utiliser le second degré et nous surprendre avec ses « problèmes » qu’ils soient intérieurs ou non. Je me trompe peut-être, mais la complexité d’Andrew Bird est plus tournée vers un aspect pince-sans-rire très touchant plutôt que vers les dérives d’un écorché vif. Un homme que la pandémie n’a pas réussi à abattre et qui rêve, avant tout, de reprendre la route avec son nouveau matériel. Sans oublier son vibrant hommage à la romancière Joan Didion (1934 – 2021) sur le très beau « Lone Didion ».

Andrew Bird Inside Problems Band 2

Au-delà de ses réelles qualités musicales, ce nouvel opus m’a fait revoir l’idée que je me faisais de son auteur. Finalement, vivre dans l’intimité d’Andrew Bird est certainement plus gratifiant qu’il n’y paraît. Inside Problems se déguste morceaux après morceaux avec jubilation et même si les sujets semblent pesants, la musique remporte tous les suffrages et transforme un simple album de plus en véritable réussite de carrière. Je ne suis pas le seul à penser que c’est Inside Problems qui aurait dû s’appeler My Finest Work Yet (Mon plus beau travail à ce jour).

https://www.andrewbird.net/

 

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