Anderson Bruford Wakeman Howe – Live At The Nec
Anderson Bruford Wakeman Howe
Gonzo Multimedia
La parution de ce nouveau live de l’éphémère formation Anderson Bruford Wakeman Howe (prononcez ABWH pour faire court) plus de 20 ans après les faits, est en soit une drôle de surprise. En effet, il ne s’agit en rien du 1er témoignage de cette grande tournée historique, puisque qu’un très honorable double CD enregistré en public, ainsi qu’une VHS retraçant également l’intégralité du show, étaient déjà sortis à l’époque, sous l’appellation « An Evening Of Yes Music ». Rappelons pour les néophytes que la formation ABWH n »était rien d’autre que la réunion de musiciens de Yes, déçus par l’orientation plus « commerciale » de leur groupe, virage net amorcé au début des années 80 avec l’album « 90125 » et son fameux tube planétaire « Owner Of A Lonely Heart ». ABWH est ainsi donc devenue l’alternative au « Yes West », emmené alors par le guitariste et producteur Trevor Rabin, mouture plus consensuelle au son FM du dinosaure, qui perdurera jusqu’en 1994 avec la publication du néanmoins excellent « Talk ». En effet, l’idée du quator n’était pas de privilégier le succès à tout prix, mais plutôt la création musicale, dans l’esprit, l’esthétique et tradition flamboyante du grand Yes. Témoignera de cette association un seul et unique disque studio éponyme, une œuvre certes ambitieuse mais en dents de scie, avec quelques fautes de goût assez déplorables, et une production dégoulinante qui a affreusement mal vieillit, rendant de ce fait l’album difficilement écoutable aujourd’hui.
En cela, le « son » ABWH passe bien mieux l’épreuve de la scène, d’où mon intérêt pour ce « Live At The Nec ». Car c’est en effet à l’occasion de cette tournée mondiale que j’ai vraiment eu la chance de découvrir, alors âgé de 19 ans, Yes et son univers tout bonnement incroyable. J’ai d’ailleurs commencé à rattraper mon « retard » dès le lendemain en me précipitant chez un disquaire afin d’acquérir les « Close To The Edge », « Fragile » et consorts, fasciné par ce que j’avais vu et entendu la veille à Paris Bercy. L’enregistrement en public dont il est question ici a été réalisé le 24 octobre 1989 à Birmingham, et publié en deux éditions à l’initiative de l’hyper-prolifique label Gonzo (non, rien à voir avec l’industrie pornographie, quoi que…) : l’une en double CD, l’autre en version « deluxe », avec double CD de DVD. Passons sur cette dernière, qui n’a a mon sens quasiment aucun intérêt, le DVD ne constituant au final qu’un faible bonus sans aucune plus-value pour cet objet honteusement bâclé, avec seulement un petit film de 26 minutes consacré aux coulisses de la tournée à se mettre sous la dent. C’est bien peu.
Côté concert, les virtuoses d’ABWH sont ici épaulés de Milton McDonald et Julian Colbeck aux guitares et claviers, et surtout de l’immense et charismatique Tony Levin, absent de l’enregistrement de « An Evening Of Yes Music » pour cause de maladie, remplacé à la volée par le bassiste jazz-rock Jeff Berlin, très bon lui aussi, mais au jeu et au rendu sonore résoluments distincts. On se retrouve donc ici avec la section rythmique du King Crimson des années 80/90, précise, incisive, ultra-technique et aux sonorités fort caractéristiques, ce qui tranche radicalement avec l’expression du duo Chris Squire et Alan White, plus rock, mais aussi bien plus ronde et ondoyante. Bref, ça change, et c’est donc intéressant ! A ce titre, le monstrueux duo basse/batterie de Bruford et du géant chauve à moustaches qui vient prolonger « Themes » au début du CD 2, aurait pu tout à fait trouver une place de choix dans un set de Robert Fripp et sa bande !
La set-list est ici la même que sur l’album live précédent, à peu de choses près. On y retrouve en supplément le classique « I’ve Seen All Good People », et l’ordre final du programme se trouve ici inversé. A ce sujet, signalons un gros plantage au niveau des titres annoncés dans le livret, erreur impardonnable quand on édite un disque, qui plus est tiré à autant d’exemplaires ! Le premier CD débute par un superbe medley acoustique composé de « Time And A Word », « Owner Of A Lonely Heart » et « Teakbois », une abération détestable de l’album studio d’ABWH qui, curieusement, dévoile ici un vrai petit moment de bonheur mélodique une fois présenté dans son plus simple appareil (l’original n’est qu’exotisme de pacotille, doté d’un mauvais goût consternant au niveau production, horrible).
Premier constat technique : le son est médiocre, bien inférieur à celui de « An Evening Of Music Plus » (la version augmentée de l’album du même nom, parue ultérieusement, avec « Starship Trooper » en sus). Aucune stabilité, un souffle énorme et permanent qu’on remarquera moins par la suite sur les titres plus denses et orchestrés, et, surtout, un atroce mic-mac en fin de morceau, qui nous rappelle le temps révolu où les bandes de nos vieilles cassettes se déroulaient tantôt dans nos appareils, créant la panique générale. Cette altération de l’enregistrement gâche complètement le plaisir de l’écoute, et ne rassure pas quant à la suite des événements. Si fort heureusement le fiasco ne se renouvellera pas, on ne peut pas dire non plus que le son va s’avérer transcendant par la suite. Celui-ci est tout juste raisonnable, mais ça passe, de justesse. Parfois, la frappe de caisse claire de Bruford devient mate tout d’un coup, on se demande bien pourquoi, mais cela n’est pas plus gênant que ça au final, et de toute manière, on en a déjà vu d’autres auparavant !
Les principaux protagonistes du show n’étant autres que des membres historiques du grand Yes, à savoir des musiciens peu enclins à l’improvisation, tout comme leurs camarades d’Emerson Lake & Palmer (ELP pour faire plus court, là encore), les interprétations sont très proches des versions originales. Avant les plats de résistance, nous avons droit à l’habituel et énervant exercice des solos, avec une mention spéciale décernée à Rick Wakeman, plus démonstratif et lyrique que jamais, qui s’amuse (et nous amuse) à jouer plus vite que la lumière sur son enchaînement brillant, basé sur son propre répertoire. Viennent ensuite, avec une parfaite maîtrise, quelques grands classiques du groupe, avec des titres propres à ABWH intercalés ici et là. On retrouve entre-autres agencés au menu « Long Distance Runaround », « And You And I », « Heart Of The Sunrise », le sempiternel « Roundabout » et « Starship Trooper », plus pêchu et dantesque que jamais. « Close To The Edge » perd toutefois quelque-peu de son pouvoir mystique et onirique, la faute en revenant à Bill Bruford et sa controversée batterie électronique, avec laquelle le rythmicien réalise des bruitages on ne peut plus réalistes de… mitraillette !
Les flamboyantes pièces du « classic Yes » sont donc entrecoupées de morceaux issus de l’album ABWH, avec le puissant « Birthright » en tête, une composition engagée dédiée aux peuples premiers (peut être la meilleure de cette formation alternative !), « Themes », le somptueux « Brother Of Mine » et son symphonisme qui renoue avec les fastes d’antan, le planant et mélancolique « The Meeting » et, enfin, le heavy progressif « Order Of The Universe ». Dans l’ensemble, ces titres passent vraiment mieux, comme je l’ai déjà dit plus haut, en live qu’en studio. Un bon moyen donc de les redécouvrir et d’en savourer le « fond », avec une forme et un emballage instrumental moins rebutants que dans leur version originale.
En bref, et pour résumer, « Live At Nec » est un objet négligé dans ses deux éditions, très loin d’être indispensable, et à réserver uniquement aux plus collectionneurs d’entre nous. Le seul intérêt de cette opération est, à mon humble avis, de pouvoir enfin posséder un document de cette tournée sans lendemain avec l’impressionnant Tony Levin à son poste de bassiste attitré, fort d’un style reconnaissable entre tous, qui apporte une autre coloration à la musique de Yes sur scène. Pour le reste, vous pouvez largement vous contenter de votre double CD et/ou DVD de « An Evening Of Yes Music Plus », largement plus soignés, dignes d’écoute et de visionnage. Vous voilà prévenus !
Philippe Vallin (4/10)
Merci Philippe pour cette chronique. Et oui, le seul intérêt, c’est bien la basse de Tony Levin, et j’avoue avoir été bluffé lorsque que j’ai trouvé sur Youtube quelques live avec mon bassiste préféré de Peter Gab et King Crimson sur cette tournée de 89. En fait, j’ai carrément découvert une autre dimension de Yes, plus groovy et sauvage avec le son de Tony Levin ! Dommage qu’il ait été malade lors de l’enregistrement de « An evening of Yes music plus » Ton conseil est juste : c’est un très bon live que j’écoute toujours, que j’affectionne à cause du jeu très particulier de Bill Bruford, et dont l’ajout de musiciens additionnels rend l’orchestration plus complète.J’ai même fini par assimiler le jeu de Jeff Berlin, le bassiste remplaçant, et cependant grande pointure…(Alan White m’a toujours un peu paru léger et simpliste techniquement sur des morceaux originellement joués par Bruford). Ainsi, vu que je suis vraiment intéressé par un document avec Mr Levin en live avec ABWH, je pense acheter ce disque… ah, quand on aime trop un groupe….
Salut Vincent ! Merci pour ce long commentaire, dont je partage tout le propos. Par contre, attends toi vraiment à être déçu par l’album live en question, assez ignoble (ou plutôt très inégal) sur un plan purement sonore. Pour le reste, oui, la musique est au rendez-vous 😉