Albin de la Simone – Les Cent Prochaines Années
Tôt Ou Tard
2023
Thierry Folcher
Albin de la Simone – Les Cent Prochaines Années
Tous ceux qui ont aimé Happy End, la parenthèse musicale d’Albin de la Simone, seront à coup sûr charmés par Les Cent Prochaines Années, ce petit bijou plein de délicatesse qui nous arrive aujourd’hui comme un prolongement idéal à cette singulière expérience. Ces deux albums sont intimement liés et il ne pouvait en être autrement. Albin le disait lui-même : « ces parties instrumentales m’ont véritablement hanté car elles réclamaient des mots ». Et c’est arrivé très vite avec « Merveille », converti aussitôt en histoire intime et poétique. Pour Happy End, Albin n’avait pas construit de véritables instrumentaux mais plutôt des chansons sans paroles avec couplet et mélodie à chanter. Je me suis même vu en train de chantonner sur « Il Pleut » sans savoir que deux ans plus tard les mots d’Albin viendraient compenser un manque, somme toute, assez logique. Trois titres de Happy End sont revisités sur ce nouvel album. Il y a « Merveille » qui a gardé son nom, mais aussi « Le Chalet » qui est devenu « Ta Mère Et Moi » et « Il Pleut » qui s’est changé en « Pars ». Des mutations tout en douceur qui ne choquent pas et qui ont le grand mérite de prolonger, voire de sublimer une œuvre attachante mais finalement, contre nature. Cela dit, la grande utilité de Happy End est d’avoir mis en lumière le travail de compositeur d’un artiste plus connu pour son maniement du verbe que pour ses paysages sonores. Et de ce fait, Les Cent Prochaines Années s’est retrouvé avec la pression supplémentaire de confirmer tout le potentiel musical du disque précédent. Une crainte vite estompée à l’écoute de ces onze nouvelles chansons aux mélodies riches et aux arrangements inventifs. A titre d’exemple (et parmi beaucoup d’autres), il n’y a qu’à se passer « A Jamais » et de voir comment une ritournelle toute simple peut soudainement se transformer en symphonie légère de toute beauté. La façon dont les mots « à jamais » s’envolent et nous pénètrent est vraiment le fait d’un véritable musicien.
C’est au plus prêt de son auteur que nous allons vivre ces 34 minutes d’intimité. Il y a d’abord la chanson titre « Les Cent Prochaines Années » qui nous balade entre nostalgie, regrets et histoire d’une vie, tout compte fait, assez banale. La voix d’Albin est toujours aussi feutrée et nous renvoie une fois de plus du côté de Souchon. La construction couplet/refrain est classique mais les surprises ne manquent pas comme la rythmique alerte ou l’éclatante intervention à la trompette de Thibaud Vanhooland alias Voyou. Sur cette chanson, la basse rayonnante est tenue par Sage (Ambroise Willaume), un jeune arrangeur de talent qui est ici aux manettes et aux multiples instruments de musique. Pour cet album, Albin lui a confié la production et c’est à la fois nouveau et très convainquant. Malgré la petitesse voire l’étroitesse des saynètes, ce n’est jamais dépouillé ni monocorde. Il y a du souffle, de la grandeur et de la pétulance dans ces évocations fragiles de la vie de tous les jours. C’est pour cela que le plaisir est immédiat et très loin des sensations de gêne que l’on peut ressentir à l’évocation de tourments, pour la plupart cachés (« Pour Être Belle », « J’embrasse Plus »). Ensuite, j’aimerais revenir sur « Petit Petit Moi », la chanson qui illustre la pochette et dont le clip est fabriqué à partir de photos de gens comme vous et moi et qui peuvent se retrouver dans ces paroles personnelles et universelles. La magie du disque est de donner l’impression que ces histoires sont tirées de nos propres expériences avec le réflexe de se dire : « tiens, il faut que je fasse écouter ce truc à machin(e), ça lui ressemble… ». Albin de la Simone fait l’effet du gars qu’on aimerait rencontrer pour juste discuter et partager. Il semble abolir les distances et rendre sa poésie accessible, presque naturelle. Cette étrange histoire de panne sous la pluie (« A Jamais ») pouvait s’écrire en prose anodine ou en SMS aride, alors que les vers d’Albin sont quant à eux, autrement plus jolis et plus riches.
J’aimerais revenir aussi sur « Merveille » et son ambiance câline. Vous dire que j’affectionne par-dessus tout son écrin musical, certes moins flamboyant que dans la version instrumentale, mais tellement bien en phase avec ce doux moment matinal. Une valse élégante qui nous transporte et nous fait penser que le bonheur est à portée de main. Une pure merveille, c’est sûr. Et c’est vrai qu’on fait attention à la musique, aux instruments, aux trouvailles sonores. La fameuse Ciboulette sur « Mireille 1972 » ou la basse, très Twin Peaks sur « Pour Être Belle ». Deux instants éphémères à l’opposé l’un de l’autre. D’un côté l’avortement et ses traumatismes et de l’autre la futilité du paraître et son aliénation. Je pense qu’Albin de la Simone n’est pas un doux rêveur, le monde l’intéresse et il a des idées sur tout. On s’en rend compte avec « Avenir », ce constat amer sur les dérives sociétales et la difficulté de se positionner. Il y en a pour tous les goûts mais sans lâcher l’idée générale de proposer des choses bien faites, bien écrites et bien composées. J’ai le net sentiment qu’Albin de la Simone a franchi un cap avec Les Cent Prochaines Années. Le passage par la case instrumentale a non seulement braqué les projecteurs sur lui mais a aussi exacerbé son sens de la mise en scène et des expérimentations phoniques en tout genre. L’album est chaud, vivant et devient très vite attachant. Il se termine en beauté par « Lui Dire » chanté en duo avec l’artiste brésilien Rodrigo Amarante et sur lequel Albin s’amuse à jouer avec les mots, sans prétention mais seulement pour la beauté des rimes et la richesse de notre langue.
Je ne pense pas trop m’avancer en disant que Les Cent Prochaines Années est un des albums les plus réussis de notre gars des Hauts-de-France (peut-être le plus réussi). Le sourire du tout jeune Albin de la pochette est un gage de fraîcheur, de spontanéité et de tendresse qui doit vous engager à découvrir (si ce n’est déjà fait) cet artiste hors du commun. La scène musicale est tellement polluée par des choses artificielles et consuméristes qu’un passage par la case talent et authenticité ne peut que faire du bien.
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