Vindotalé – Hunerez Ar Bal
Aztec Musique
2023
Thierry Folcher
Vindotalé – Hunerez Ar Bal
En l’espace de deux albums, Vindotalé est devenu une valeur sûre du paysage musical breton. Un bel exploit accompli grâce à une formule originale alliant tradition et modernité. Leur premier album Tan sorti en 2020 avait rapidement conquis un public local très enthousiaste à l’écoute de ce mix électro trad décoiffant. Faut dire que les deux trublions de Vindotalé n’étaient pas des inconnus, loin de là. D’un côté la délicieuse Bleunwenn à la voix d’or (Dan Ar Braz, Tri Yann) et de l’autre, l’ingé son Gwenolé Lahalle, fier guitariste, brillant bidouilleur et familier des studios d’enregistrement. Hunerez Ar Bal nous arrive donc en ce début d’année et fait sauter le format duo du premier opus pour un quatuor bien rock dans la forme et dans le son. Et croyez-moi, ça s’entend ! Du sympathique tête-à-tête plutôt expérimental, nous voici désormais face à une formation plus classique avec l’ajout du bassiste Stéphane de Vito (Ar Re Yaouank) et du batteur Benoît Guillemot. Premiers constats, les textes sont plus personnels et la musique a pris du volume (dans tous les sens du terme). C’est donc une machine toute neuve capable de conquérir une plus large audience qui se dévoile à l’écoute de Hunerez Ar Bal. Cela dit, ce n’est pas non plus une trahison et ceux qui avaient aimé les boucles électroniques et les beats appuyés de Tan ne seront pas déçus. Ainsi, dés les premières notes de « You », on se retrouve en terrain connu avec un groupe qui lance à tout berzingue une rythmique de feu suivie comme son ombre par la guitare de Gwenolé, plus que jamais maîtresse des lieux. Bleunwenn, très à l’aise malgré l’intensité du morceau, nous gratifie, quant à elle, d’une prestation énergique très convaincante. A noter la présence sur ce morceau de la vielle de Willy Pichard bien à sa place dans ce trip électro rock celte. Nul doute que ce « You » plein de fougue risque d’enflammer les scènes futures et de devenir un emblème majeur de Vindotalé.
On continue l’exploration de ce nouveau disque avec « Hunerez Ar Bal » (la dormeuse du bal) un morceau titre étonnant, directement inspiré par la récente pandémie qui a mis le monde à l’arrêt et recadré les esprits. Sur la pochette, la danseuse tout feu tout flamme de Tan s’est endormie et vit une sorte de léthargie que seule une main tendue pourra soigner. Le symbole est fort mais la musique se veut plus enjouée que dramatique. Le chant breton est plein d’entrain, les claquements de mains fédérateurs et au final on découvre une chanson qui part un peu dans tous les sens. Moi, je dis bravo pour ce genre de construction musicale, pas évidente du tout et loin de la facilité rassurante d’un traditionnel couplet/refrain. Vindotalé c’est la version ancienne du prénom Gwendal (allusion au fameux groupe issu des années 70), alors autant vous dire que la tradition celte sera au rendez-vous. Il y a d’abord cette virée vers les Îles Hébrides où « Shony » fait revivre des mythes anciens et de légendaires rencontres. Le chant anglais de Bleunwenn est entrecoupé par de puissantes narrations qui donnent à l’ensemble l’allure d’une épopée fantastique. La guitare de Gwenolé fait penser à Matmatah et se charge d’envoyer des riffs capables de faire onduler le monde de façon irrésistible. C’est là qu’on se rend compte du changement profond qu’apporte une vraie section rythmique. Le succès de cette démarche qui ne devait pas aller plus loin que le disque sera finalement prolongé sur scène et on comprend aisément pourquoi. Ensuite, l’empreinte des Scots s’accentue sur « Air Falalalo », une gigue endiablée dont le chant rappelle Karen Matheson et sur laquelle viendra se greffer la veuze de Clément Le Goff. Et si cela ne suffisait pas, je vous recommande les vocalises de Bleunwenn sur « Gaol Ise Gaol I », un air traditionnel revisité et encore plus ancré dans la tourbe écossaise malgré le traitement moderne de l’accompagnement musical.
Alors, même si je prends énormément de plaisir à battre la semelle avec Vindotalé, je peux vous certifier que je craque littéralement en écoutant les passages plus calmes, ces instants magiques où les yeux se ferment et que s’ouvre l’esprit. La voix de Bleunwenn y est pour beaucoup mais pas seulement. Il y a cet amour pour les écrits fondateurs et cette volonté de les faire revivre en musique. Je pense notamment à « Yeun Elez », une magnifique chanson d’amour chantée en français mais entrecoupée d’un vieux texte bas-breton sorti de l’abandon et dont la résurrection fait frissonner. De son côté, la musique n’est pas en reste avec un duo voix/guitare parti pour s’imposer mais qui verra le grondement de la basse de Stéphane de Vito surgir des profondeurs de l’enfer et prendre le dessus. Un très grand moment du disque dont vous ne n’êtes pas prêts de vous lasser, croyez-moi. Je vous conseille aussi la jolie ballade « Fille Du Sable » chantée en duo par Gwenolé et Bleunwenn dans une mise en son à la fois moyenâgeuse et actuelle. La liberté de prendre l’existant et d’en faire un objet inédit est peut-être la grande force de Vindotalé qui peut séduire ainsi les plus ouverts comme les plus conformistes. Autres grands moments avec les solos de guitare de « Mor » qui promettent d’exploser sur scène et qui feront revivre un titre qui méritait peut-être d’aller plus loin sur le disque. Pour compléter ce tour d’horizon, des fragments de U2 vont surgir sur « La Fiancée De Satan », un titre alerte et très accrocheur que je vois bien faire tout craquer en fin de concert. Et puis, cerise sur le gâteau, je vous propose en fin de chronique la vidéo de « Bale », une errance poétique de toute beauté qui vous permettra de mieux faire connaissance avec le groupe.
Vindotalé acte II et premier coup de cœur de l’année. Je n’ai pas la moindre idée des intentions des membres du groupe ni de leurs projets de carrière mais s’ils veulent aller plus loin, Hunerez Ar Bal leur offre un beau passeport pour sortir d’Armorique et aller conquérir le monde. Ce deuxième album est une franche réussite avec un ensemble qui a pris de l’épaisseur tout en restant fidèle à ses principes. Le mariage heureux des fondements du passé avec les possibilités actuelles est sans limite et la rencontre entre Bleunwenn et Gwenolé est en train d’écrire une des plus belles pages du grand livre des bardes de ce beau pays de Bretagne.
