Syndone – Kama Sutra

Kama Sutra
Syndone
Ma.Ra.Cash Records
2021
Jean-Michel Calvez

Syndone – Kama Sutra

Syndone Kama Sutra

Quand on pense prog made in Italy, on a tous en tête un certain nombre de groupes et de tonalités, pas forcément si éloignées que ça du prog mondial… c’est-à-dire anglo-saxon (oui, pas seulement, je sais, mais je simplifie, d’ailleurs certains groupes chantent en anglais). Il y a bien sûr des exceptions à cette uniformisation, je pense notamment aux vétérans d’Area. Or voici une autre exception, avec un autre « enfant terrible » du rock progressif italien qui frappe à nouveau, avec un opus hors norme à leur manière dans le vaste champ d’expression du prog : j’ai nommé Syndone !
Qui connait Syndone ? Le groupe a pourtant plus de 30 ans d’existence, avec 8 albums studio au compteur. Et chaque opus du sextuor est une bulle de folie, un pas de côté vis-à-vis de l’étiquette prog qui n’arrive pas à coller sur cette surface trop glissante, trop libre pour supporter les étiquettes préformatées. Liberté de ton due à la « voix » de Syndone, Riccardo Ruggeri au style opératique pas si éloigné du regretté Freddy Mercury, ou encore de Joe Payne, ex-chanteur de The Enid (on peut écouter sa performance vocale sur le fabuleux « One & The Many » de l’album Invicta). Et liberté aussi dans les arrangements qui dépassent de loin le spectre du prog, pourtant assez large et multiforme pour englober pas mal d’originalités et autres fantaisies stylistiques et harmoniques.

Syndone_Kama Sutra band1
Sur ce Kama Sutra, les claviers vintage sont moins omniprésents que dans le génial Odysseas (2014), qui se singularisait par l’absence de guitare électrique, et l’annonçait haut et fort sur le livret du CD. En échange (mais on ne perdra rien au change !), on ne peut résister ici aux riffs rageurs d’orgue Hammond d’un Nik Comoglio déchaîné, donnant à ses solos un vrai parfum seventies.
On est ici dans une sorte de prolongation ou d’écho contemporain à A Day At The Race et A Night At The Opera, le diptyque de Queen ô combien transgressif pour l’époque, tout au moins vis-à-vis des canons du prog ou même du registre pop/rock dans son ensemble. C’est la signature de Syndone, qui avait déjà donné dans le même Art rock sur son Melapesante (2010) et sur le plus récent Mysoginia (2018), avec des titres brefs de moins de 5 minutes, loin des epics habituels au rock progressif où un titre au moins se devrait d’atteindre ou dépasser les 10 minutes au compteur. Sans que s’alignent les morceaux comme des perles sur un fil, on se rapproche avec Syndone du style hybride et de l’ambiance de Not A Good Sign, autre formation italienne originale assez méconnue. Et l’on n’est pas si éloigné non plus de la chanson pop « pure et dure », ni d’un registre cabaret/piano-bar à la Kurt Weill, sensation encore amplifiée par l’usage fréquent du piano (et autres claviers), bien plus que de la guitare électrique qui serait indispensable (ou pas ?) à tout album rock qui se respecte.
En témoigne sur fond de piano la voix feutrée de crooner et assez androgyne de l’intro de « Sacred & Profane », virant très vite jazzy, avec cuivres, riffs de Hammond et de synthés, ou « Still Shine » et « We Are World We created » sur fond de piano et de cordes, avec synthés vintages allumés (et le Hammond encore) sur « It’s only Make Believin » à la ligne de bass synth torturée. Pour « Nirvana », la voix se fait plus rageuse et doublée d’un chorus, comme le tempo de « Carousel » virant à un math rock jazzy, avant le retour les cordes. Puis « Into The Kama » offre un langoureux duo vocal avec flute et clarinette obligée, rappelant les Lieder classiques du siècle dernier ; passera aussi par là un surprenant sitar qui semble venu du groupe Oregon, avant des nappes de cordes arabisantes. Si « Bitches » nous fait croire à un moment de pure romance, tout bascule avec l’attaque brutale des synthés et du chanteur sur un rythme effréné. Rien ne nous est épargné sur ce Kama Sutra, avec avant tout ces incessants changements de ton, de rythme et d’instrumentation au sein du même morceau, et des intros particulièrement soignées, comme ce superbe solo de vibraphone sur un « You Still Shine » où se mêlent romance, synthés en mode portamento, jazz de cabaret et cordes ad libitum. On notera aussi, sans doute pour justifier le titre à la connotation explicite de l’album, le délirant « Sex Toys R Us », au titre tout aussi explicite et coquin.

Syndone_Kama Sutra band2
Sur Kama Sutra comme sur le précédent, Mysoginia, Syndone nous balade et nous immerge d’un morceau à l’autre dans sa palette ébouriffante de styles et de climats sans cesse changeants. Il y transparait malgré tout un hommage aux deux fameux albums historiques et quasi symphoniques de Queen, qui avaient changé à jamais la face du rock progressif… ou du rock dans son ensemble, qui sait ? Et Syndone poursuit donc là où Queen nous avait laissés. La voix souple de Riccardo Ruggeri, entre crooner et ténor d’opéra, y est pour beaucoup, s’ajoutant à un festival de cordes et de claviers vintage en folie. Avec Kama Sutra, Syndone souffle sur le rock un vrai vent de liberté… y compris sexuelle, semble-t-il.

https://www.syndone.it/
https://m.facebook.com/syndone/?locale2=fr_FR
https://maracashrecords.bandcamp.com/
https://www.discogs.com/fr/artist/1980514-Syndone

 

2 commentaires

  • Jordi

    Moi, ça me rappele plutôt Gino Vannelli!

  • Jean-Michel

    En fait ce qui fait l’intérêt de cet album est l’extrême variété des tonalités et des genres, d’un morceau à l’autre. Et cette variété et versatilité concerne aussi la voix du chanteur, dont le spectre vocal et l’aptitude à changer de tonalité (grave, de ténor, voire plus haut…) fait de même l’intérêt et la signature de ce groupe assez hors norme (et un peu barré !)… Je l’ai certes classé, faute de mieux, en prog (peut-être à cause des nombreux claviers vintage dignes de Keith Emerson ou Rick Wakeman) mais cela dépasse largement le genre et surfe avec un tas d’autres styles allant parfois jusqu’à une sorte de parodie (assumée…) de pop/rock, de jazz, de glam rock, et même de « variété internationale » (classification certes ultime et assez fourre-tout… mais on voit bien ce que ça veux dire ici).

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