Quand Clair & Obscur fait son cinéma : « Whiplash » (2014)

Whiplash 1

Je me disais un jour avec mon très cher Philippe Vallin (surnommé aussi « Fifi les belles jambes ») au cours d’une de nos nombreuses conversations :

– Tu sais mon pote, la musique c’est bien, surtout quand elle n’est pas trop pourrie, mais il y a un autre truc auquel on pourrait s’atteler.
– Ah bon ? Et quoi donc mon cher ?
– Les films, le Cinéma pardi ! C’est bien une autre de nos passions communes n’est-ce pas ?
– Absolument mon farfadet gluant ! T’as une idée du titre par lequel on pourrait commencer ?
– Ben, c’est-à-dire que… Heu… Et toi ?
– Heu… Bah non… Je ne vois pas. Bon, on se met ça sous le coude et on en reparle hein ?

Et bien voilà, c’est arrivé. Je le tiens ce film, le Saint-Graal, celui qui inaugure enfin et bien à propos la rubrique fantasmée. Et alors, par quoi on commence un sujet pareil ?

Quand Jérémy Urbain (surnommé « Jéjé les affreuses tentacules ») fait son cinéma : « Whiplash » (2014) de Damien Chazelle

Whiplash. Un film scénarisé et réalisé par Damien Chazelle à partir de son propre court-métrage (primé au festival de Sundance), sorti en 2014 et récompensé dernièrement de trois oscars. De quoi ça cause ? Pas de bile, un p’tit copier-coller :

Andrew Neiman est un jeune batteur de jazz de 19 ans. Il vient d’intégrer le prestigieux Shaffer Conservatory de New-York, l’une des meilleures écoles de musique du pays. Aspirant à devenir le nouveau Buddy Rich, il est repéré par le très exigeant Terence Fletcher, enseignant et chef d’orchestre à Shaffer. Andrew s’entraîne avec acharnement pour accéder aux attentes toujours plus inaccessibles de Fletcher. Sous prétexte de pousser ses élèves au-delà de leurs limites, ce dernier alterne les conseils amicaux et les déchaînements d’injures, n’hésitant pas à aller jusqu’à la violence physique.

Non, ce n’est pas un film de super-héros. Whiplash étant un personnage Marvel. Mais si, il apparaît même dans cette chiure qu’est « Iron Man 2 ». Si. Et joué par Mickey Rourke, en plus. Siiii ! Bon, on revient à un truc sérieux ?

Le premier plan du film est équivoque. Sur un lent zoom avant, on découvre Andrew derrière son kit en train de terminer les derniers réglages avant de se lancer sur un rythme où les jazzmen, et autres amateurs, ne manqueront pas d’esquisser un sourire béatement con. Pourtant, en l’espace de deux minutes, Damien Chazelle nous montre clairement et simplement de quoi il est question tout en présentant ses deux personnages centraux : dépassement de soi, soif d’absolu, plaisir de montrer, dextérité, recherche intérieure, solitude. C’est fou tout ce qu’on peut dire avec un instrument (et une caméra).

Ici, on parle bien évidemment de batterie et quoi de mieux que le jazz pour donner toute la noblesse à cet instrument où rythme, adresse et virtuosité s’appliquent le mieux. Vous pensez avoir affaire à l’un de ces biopics documentés et chiants comme une page Wikipedia ? Que nenni ! Ici, il est question d’initiation, de doute, oui, d’acharnement, de frénésie, certes, de courtes victoires dans le sang amenant des chutes d’autant plus rudes, aussi. Mais,Whiplash, est un combat, violent, brut, sale même (« Whiplash » ne se traduit pas par coup de fouet pour rien), celui d’Andrew contre/avec son instrument, son ego, sa place dans une société refusant le doute dédiée à la performance, mais aussi un combat contre Terence Fletcher (J.K. Rowlins absolument magnétique, gnih !), prof tyrannique, respecté et aussi craint que le sergent Hartman de Full Metal Jacket (voir le garde-à-vous de rigueur à son entrée). Le parallèle en est même troublant.

Whiplash 2

La relation entre le jeune homme et son mentor, c’est le centre du film. De la rencontre, la découverte, l’initiation, la fascination jusqu’à la haine viscérale en passant par la crainte, voire la peur (amenant une remise en question sur les relations et choix de vie), le rendu est aussi jouissif par les répliques tantôt désopilantes, tantôt néfastes de Fletcher, qui cultive un bagou de grande gueule pendante digne d’un entraîneur sportif qui aurait forniqué avec un camionneur bourré. Humiliations publiques, manipulations, dégoût, tout y passe jusqu’à atteindre les limites biologiques du corps humain, telle cette scène où les trois batteurs en lice, dont Andrew, se disputent la place de titulaire au sein de l’orchestre. Les corps suent, les larmes coulent, les mains saignent jusqu’à atteindre le « Blast ». Cet instant où corps et instrument ne font plus qu’un dans un mélange de sang et de sueur. Et quoi de plus visuel qu’une batterie quand l’essentiel de tous les membres du corps entrent en action.

Whiplash 3

Le choix de l’instrument n’est pas anodin, loin de là. En s’éloignant du stéréotype commun, Damien Chazelle vise l’organique, les fluides, la démesure du geste ainsi qu’une portée purement cinématographique. Les passes de baguettes se muent en combats, des instants de tensions millimétrés visant au paroxysme, réduisant l’espace, portes vers un montage intense et frénétique (tout en restant lisible, visez l’exploit) où chaque coup de cymbales résonnent comme des explosions (sans gros effets façon Michael Bay), des mots, des injures avec toujours cette sensation tenace que ce combat peut être le dernier de leur vie. On se surprend même à reprendre son souffle entre chaque chorégraphie digne d’un HK Vidéo. La batterie est un art mais c’est un affrontement volcanique, tétanisant, où les protagonistes risquent des dommages irréparables.

Le mélomane, quant à lui, sera aux anges. Duke Ellington, Buddy Rich, Hank Levy sont à l’affiche, une autre manière aussi de réhabiliter cet art dorénavant « noble » qui a vu sa naissance dans les bars enfumés. Et croyez-moi, en ressortant du film, vous n’aurez qu’une seule envie, celle de vous foutre du free-jazz à vous en faire fondre le cerveau. Des défauts, il y en a, certes. On pourra tiquer sur la brutalité excessive et toxique de Fletcher dès la première manifestation d’Andrew. On pourra aussi pointer la relation entre Andrew et Nicole (seul personnage féminin du film) qui se termine en eau de boudin, seulement pour montrer la montée d’ego du personnage principal (et son antipathie à baffer) alors qu’il y avait bien plus à creuser, que J.K. Rowlins bouffe TELLEMENT l’écran que les autres peinent à exister mais…

Whiplash 4

Non. Simplement non. Une fois l’acte final enclenché, avec son rappel sympathique au Spider-Man 2 de Sam Raimi (Andrew et sa batterie ne doivent faire qu’un) mais tellement à propos, Whiplash se transforme carrément en film de super-héros sadomasochiste qui fait mouiller le slip. Un final où le personnage dépassera son statut, son mentor et sa condition physique dans le climax le plus tétanisant et jubilatoire que j’ai vu depuis longtemps (au point que des applaudissements résonnèrent une fois l’ultime plan passé). Oubliez Star Wars et les tirs-bouchons lasers de jeux-vidéos, les AK 47 turgescents, les plans gores idiots et vaguement expressionnistes, Whiplash propose et donne plus. La libération d’un jeune-homme, déjà vieux, par et au-delà son instrument, une relation de communication qui s’installe par le truchement de la virtuosité, de la compréhension, du défi, de l’acceptation, tout cela sans qu’un seul putain de mot soit prononcé.

Quand je vous dit que ce film est un combat ! Aux chiottes les blockbusters. 3 millions de budget et ça m’a fait plus vibrer que Avengers… Groovy ! Vous pensez que c’est fini ? Vous voulez aller plus loin ? C’est aussi un site de musique ici. Oui, Monsieur ! Musicalement, la première image qui me soit venu en tête, c’est le jeu hautement physique du norvégien Paal Nilssen-Love qu’on retrouve notamment dans The Thing. Un album en particulier, « Boot« , où son jeu pour moins sportif vous collera le tee-shirt.

Buddy Rich, sans surprise, est sans conteste la référence musicale (voire visuelle) de Chazelle. Nonchalance et dextérité…

Il faut voir Andrew enchaîner ses solos. Et comme Chazelle est aussi batteur de jazz, inutile de voir plus loin. Si justement, c’est le moment de découvrir Gene Krupa :

Et Louis Bellson :

Et Rashied Ali !

Je ne peux pas m’empêcher de citer Steve Reid, sa subtilité, son charisme et son doigté au service de l’imagination pure. Jetez un coup d’œil par là. So long man…

Et vous pensez sincèrement que je vais vous filer comme ça, tranquille, à l’aise blaise, cool Raoul, sans vous balancer le morceau de bravoure finale ?!

Non mais là, c’est mort, si j’écris ceci, c’est pour que vous bougiez vos fesses et allez voir « Whiplash » fissa. Allez ! Hop, hop, hop !

Jérémy Urbain

Whiplash Affiche

http://www.whiplash-movie.net/

 

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