L’album de trop ? – Intro

L’album de trop ?
Intro
Jean-Michel Calvez

L’album de trop ? – Intro

SINGE guitare

Il existe un « syndrome du deuxième album » (connu aussi en littérature, où c’est plus compliqué, vu qu’on n’a pas du tout le droit de refaire deux fois le même roman, ni de se plagier soi-même… alors qu’en musique…) Et il existe aussi une façon de devenir une icône rock inscrite au Hall of Fame jusqu’à la fin des temps, en tirant sa révérence à 27 ans : c’est le fameux « Club des 27 », celui de Jimi Hendrix, Kurt Cobain, Jim Morrison et quelques autres, disparus en pleine gloire. Mais Clair & Obscur va traiter un autre thème sensible dans l’univers musical, qui a fait et fera encore couler beaucoup d’encre, de bière et de sueur dans l’univers des chroniqueurs : celui de « l’album de trop » de nos idoles vieillissantes ou sombrant dans la facilité ou pas tout à fait usées, toujours en service actif dans les studios ou sur scène. La formule peut aussi se décliner au pluriel : « Les albums de trop », pour des groupes à la carrière très longue et qui sont convaincus (ou à qui on a fait croire ?) que la retraite, ça n’est pas pour eux.
Quels musiciens ou groupes ont sorti leur « album de trop » ? Ou ont osé le concert ou la tournée de trop ? Et lesquels ont su éviter ce faux-pas, s’arrêtant en pleine gloire, délibérément ou par accident (le « Club des 27 », mais pas seulement), en changeant de nom, de style et de peau, par mutation délibérée ou parfois contraints par l’évolution des goûts de leurs fans. À moins que ça soit un accident fortuit, Kurt Cobain a donc fait un choix inverse en tirant sa révérence à 27 ans… mais on doute fort qu’il l’ait fait pour la gloire, devenir une icône et éviter ainsi de « commettre » l’album de trop. Cette sanction sévère vient donc souvent des critiques, du public et des fans d’un groupe, bien plus que du groupe lui-même. Un groupe qui ne sait pas forcément, lorsqu’il signe de nouveaux morceaux, que cela conduira pour eux à « l’album de trop » ou jugé comme tel.

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On est donc ici non seulement au cœur de la création artistique mais aussi, et peut-être surtout, de sa perception, de la façon dont celle-ci est reçue, de la façon dont « la sauce prend » (ou pas ?) sur un nouvel album a priori différent du précédent (ou, à l’opposé, « trop pareil » ?), et qui n’aurait pas dû exister. Virage mal négocié, inspiration en berne, mutation des goûts des fans (ce fameux « air du temps » au parfum éventé sans qu’on l’ait senti vieillir), producteur mal avisé ou erreur de casting, etc., les explications possibles sont variées, souvent multiples et complexes, pour expliquer la naissance de ce faux pas ou ce raté qu’on appellera ici « l’album de trop ? ». Et le point d’interrogation est important ici, parce qu’il n’y aura pas forcément consensus parmi les critiques, les fans, ni même le grand public, qui n’a pas toujours le meilleur goût qui soit pour aimer (et acheter…) un album (qualifié de « grand public ») plutôt qu’un autre. Le fan ultime qui achètera absolument tout ce que sort son idole, y compris les best-of, les remastering, les coffrets anniversaire, une sorte d’acheteur compulsif ayant perdu tout discernement et donc, à qui il sera impossible d’admettre qu’un des albums de celle-ci est « l’album de trop ? », ça existe aussi !
Ce syndrome n’est pas réservé aux groupes de second rang et à ceux au parcours musical chaotique ou incertain. Au contraire, il a touché, de façon plus directe encore, tous (?) les groupes phares de la scène rock, prog, métal, electronica, jazz, industriel, ambient, etc., qui, un jour ou un autre, une fois, et souvent plusieurs, ont fait un faux pas ou un « pas de côté » dans une moins bonne direction.

C’est une discussion au sein de C&O qui a conduit à lancer ce sujet. Elle portait sur Nature’s Light, le dernier album de Blackmore’s Night, chroniqué récemment, faisant dire à certains d’entre nous qu’il n’y a guère d’évolution dans leur répertoire se limitant, en gros, à toujours la même recette : repêcher des tubes d’une ère passée, et les agrémenter à une sauce prog folk. L’effet initial (leur premier album) était une belle surprise mais, depuis dix ans environ (la seconde moitié de leur carrière) une certaine lassitude s’installe, et on sent bien qu’il y a eu une frontière franchie, pouvant se définir par un/des « albums de trop ? » ou, plus subtil, par un virage « progressif » (jeu de mots assumé ici) vers un sur-place qui s’est installé en l’espace d’un, deux ou peut-être trois albums.
Un exemple suffira pour illustrer l’idée : Pink Floyd. The Endless River, leur dernier album, réalisé à deux (RIP Rick Wright…) avait généré des débats passionnés portant sur « l’album de trop ? », y compris dans les rangs de C&O. Sans oublier que d’autres de leurs albums ont aussi été jugés « de trop » en leur temps. Exemple : la B.O. Obscured by Clouds, une « ombre au tableau », que le temps a fini par élever au rang de « classique », presque au même niveau qualitatif que les autres albums de cette période séminale du long parcours de Pink Floyd (ok, presque, seulement).
Ce cas et d’autres pourront être développés et décortiqués ultérieurement. Il s’agit simplement de montrer qu’ils « ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » (comme a écrit La Fontaine dans « Les animaux malades de la peste »). En somme, nul n’est épargné hormis, peut-être, ce fameux « Club des 27 » évoqué en introduction comme exemple du « savoir s’arrêter à temps », eût-il été non programmé ? Eh bien, même pas car même eux (certains d’entre eux tout au moins), ont aussi commis en leur temps un, ou des « albums de trop ». On pense notamment à la pléthore d’albums de Jimi Hendrix (dont le flux musical semble ne jamais devoir se tarir, entre bandes oubliées, enregistrements pirates et autres), mais admettons que cela puisse être une autre histoire, lorsque l’artiste n’a pas été lui-même à l’origine de la parution d’albums tardifs portant son nom ; surtout si cela se produit a posteriori et à titre posthume, donc « à l’insu de son plein gré ».

robot piano
Il y a de la matière à traiter, source potentielle de débats passionnés et de contradictions ; il y en aura forcément : « les goûts et les couleurs », débat sans fin… Mais ce sujet, quelque peu polémique et sociologique au sein de l’univers pop rock, ne manque pas de sel, et mériterait d’être décortiqué plus en profondeur, et avec l’intervention de multiples contributeurs. Au travers de ce parcours transversal seront aussi abordés des exemples et des groupes plus actuels qu’un Yes de 1973 ou un Vangelis de 1978, si besoin en liaison directe avec nos chroniques récentes, afin d’illustrer et d’élever le débat, et de tenter d’y déceler des causes et explications génériques, des tendances… et même des excuses, le cas échéant ?
Si l’on prend un peu de recul sur cette question sensible (dans la carrière d’un groupe), on peut y déceler deux cas de figure assez différents, par leur gravité relative :
– « l’album de trop » unique ou isolé, simple faux-pas momentané, rattrapé par la suite dans une discographie globale,
– plus grave, le premier de nombreux faux pas délibérés ou non, et assumés ou non, menant tout droit au désastre et au naufrage définitif d’un groupe : le virage vers une dégradation inéluctable d’un parcours musical jusque-là sans faute ou honorable.
Une autre différentiation est à faire entre la notion d’album (impliquant donc innovation, création, nouveauté, etc.) et les tournées live qui, elles aussi, peuvent s’avérer de trop dans le parcours d’un groupe, pour des raisons différentes du processus plus réfléchi (ou moins commercial ? Cela reste à prouver) menant à un album studio mal né ou « de trop ».
On pourrait évoquer aussi les éventuels problèmes médicaux ou liés à l’âge, tel celui de la voix d’un chanteur (ou d’une chanteuse : vive la parité !) qui n’est plus à la hauteur de sa tessiture passée ou de ses ambitions. L’analyse contradictoire de l’exemple de Marianne Faithfull s’avère intéressante à ce titre : voilà un cas ambivalent, si on note que c’est justement sa voix, cassée par divers excès, qui lui a assuré le succès qu’elle n’aurait peut-être jamais eu, sans cette mutation vocale accidentelle, non-souhaitée par l’artiste mais ensuite transcendée ?
De même, un changement de line up dans un groupe à géométrie très variable, qui va conduire à fortement modifier leur identité sonore et musicale : tout le monde se souvient du cas Genesis. Surtout s’il s’agit du chanteur : Marillion, bien sûr (tout le monde y a pensé bien avant moi).

jouet chanteur
Enfin, le recul (appelé aussi la perspective historique) sera parfois utile pour traiter d’artistes et de groupes à l’histoire longue, dont certains albums (on l’a vu avec Pink Floyd) n’avaient pas été si bien reçus en leur temps. Trop innovants, trop différents, ou juste médiocres ? Le débat est ouvert, car un album devenu culte ne l’a pas toujours été et, comme certains vins, il peut advenir qu’il s’améliore en vieillissant.
Voilà le sujet tel qu’il se présente, avec ses multiples facettes dont j’ai bien pu en zapper quelques-unes, si ça se trouve. Les articles ultérieurs viendront rattraper ça, en vous en montrant quelques exemples emblématiques.

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