KMRU & Aho Ssan – Limen
Subtext Records
2022
Jéré Mignon
KMRU & Aho Ssan – Limen
Des particules de sons s’agitent dans l’espace, vide et vierge. L’air, avant d’être source de vie, n’est encore qu’un concept chimique de différents éléments sur le point de se rencontrer. Et ses particules virevoltent, épousent les formes rocheuses nues. D’abord indistinctes, frottements, grésillements, drones s’approchent et contactent segments et fractions de vie. Les sons créent, transforment et sculptent la matière. Limen est le seuil, le passage, cet instant où l’existence va s’allumer et embraser l’atmosphère. C’est la montée de lacs de lave, tonnes de cendres abrasives qui vont finir par exploser au sommet de ce volcan, se battre et s’échanger avec les décharges de foudres de nuages menaçants. Ce sont différentes strates qui s’entremêlent avec force, passion, violence dans une danse primitive de conception. C’est un tableau primaire, un instantané que nul être vivant ne peut attraper et saisir. Ne restent que des impressions tachetées, coulantes dans une rétine trop jeune et ces sons…
Ces sons minimalistes et enveloppants, parasites et perturbateurs, se dévoilent de ce qui pourrait être un trou noir jusqu’à atteindre une grandiloquence habitée et primordiale telle que l’avait effleurée Paul Jebanasam. Et au milieu d’eux se faufilent lentes mélodies, crachins magnétiques, distorsions sismiques, effeuillements et recouvrements, contemplation et distraction. Au littéral prend place l’anagogique. L’abstraction figurée d’un objet séduisant qui a tout d’un aimant chaotique.
Limen est le fruit d’une collaboration entre deux acteurs de la scène électronique contemporaine. Joseph Kamaru soit KMRU, artiste sonore kényan, proposant l’un des plus beau mélange entre la chaleur de l’analogue et du field recordings (sublime album Peel ) et le français Désiré Niamké alias Aho Ssan, détenteur d’un hallucinant album d’électronique fractal Simulacrum. Et quand ces deux univers sont amenés à se côtoyer, d’abord sous commission du festival Berlin Atonal Metabolic Rift, c’est pour lier les contrastes.
La chaleur, l’expressivité du feu avec la froideur, le statisme de la cendre. Limen ressemble dès lors à un choc entre deux couleurs liquides sur papier. Dilution, métissage, concentration sans que l’on sache vraiment ce qui prend le dessus dans ce dialogue sonore et magnétique. Ce qui en ressort c’est la polyvalence des sons choisis, l’entremêlement des fragments, les collisions franches des quelques pulsations éparpillées avec justesse et cette tension qui jamais ne faiblira dans cette terraformation toujours au niveau terrestre, cherchant un horizon énergétique.
Dialogue sur l’adversité, flottements, déflagrations, contemplation à distance, Limen est à lui seul un panorama jouant de ses propres transitions et connexions. KMRU et Aho Ssan ont modelé les angles, les imperfections d’une genèse, la création atonale du monolithe comme Deathprod l’avait touché avant eux. Ridiculement immense…
https://kmruahossan.bandcamp.com/album/limen