Imperial Triumphant – Spirit Of Ecstasy

Spirit Of Ecstasy
Imperial Triumphant
Century Media Records
2022
Jéré Mignon

Imperial Triumphant – Spirit OF Ecstasy

Imperial Triumphant Spirit Of Ecstasy

Tenter de disserter quelque-chose sur un album des américains d’Imperial Triumphant est ce qui peut se rapprocher le plus d’une impasse. Analyser et/ou décortiquer le travail de ce mystérieux trio masqué revient à pratiquer une autopsie un livre d’Histoire de l’art dans une main, un exemplaire de Michel Foucault dans l’autre, un verre de vin en bouche et un scalpel au milieu. Et sans que cela ne fasse clairement avancer le problème…

L’énigme reste entière, impénétrable, hermétique. Depuis Vile Luxury, les New-Yorkais ont pulvérisé les repères connus et réconfortants sur lesquels tout auditeur (chroniqueur ?) est en droit de s’attendre face à un album de metal extrême. Alors oui, la première partie de carrière se caractérisait par un black metal aussi brutal que technique, volontiers oppressant mais parfaitement reconnaissable et décomposable. Là… Imperial Triumphant a choisi de macérer sa mixture première avec le jazz dans son approche (frénétique), sa composition, son ambiance et ses thématiques. Mais en plus de cela, le groupe pousse les potards de l’orgie sonore au point de rupture. Orchestrations néo-classiques en pagailles, cris de harpies opératiques et dissonances de bon aloi, flirtant à la limite de la musique concrète. Mélanger le tout avec des concepts ayant trait à la dystopie, le néo-libéralisme, la mythologie, le théâtre et l’art… Saupoudrer le tout de quelques épices amères et bonjour le CV… Et, encore plus curieux, c’est avec cet adage surprenant et contre-nature, franchement expérimental, que l’entité Imperial Triumphant s’est trouvé avec une notoriété, un statut même, toxique, qui a tout du bug dans un réseau déjà surchargé. Alphaville, précédent effort chroniqué ici-même, était déjà une descente en profondeur dans les alcôves d’une ville pourrie de l’intérieur où Baudrillard, Godard et Gilbert Durand se foutent sur la gueule sur un blackened death vicieux, aisément et sciemment débauché qu’exigeant.

Imperial Triumphant Spirit Of Ecstasy Band 1

Spirit of Ecstasy semble défoncer les quelques séparations symboliques et portes restantes. Le formalisme n’est rien, si ce n’est un obstacle, un obscurantisme. Au brutalisme architectural, Imperial Triumphant ouvre les enceintes, déroule son tapis rouge et éclaire recoins d’alcôves. Si le groupe semble se mettre dans un coin, c’est pour mieux déverser son flot de digressions à une assemblée trop occupée à la mascarade. Dans une devanture d’art-déco macabre, rappelant fortement l’esthétique de Gustave Klimt, le fantôme de Billie Holliday arpente langoureusement couloirs, scènes et tables avant de crier, hurler son dégoût d’une société cannibale et insatiable. Le ton est fiévreux, paradoxalement chic, les ouvertures, elles, sont béantes. Surnagent les syncopés rythmiques d’un batteur fou et génial, alors que le reste de cet orchestre anonyme se laisse aller à une décadence sonore enrichie et désarmante. Ai-je déjà mentionné le caractère aussi énigmatique que perfide du groupe ? J’y pense bien… Et j’y consens. Spirit of Ecstasy respire sourires immoraux, limite licencieux, derrière ses masques et au groupe de nous y engouffrer dans ses orbites. Si la première moitié de l’album contient son lot de fulgurances d’hallucinations partouzées, aussi bien techniques qu’atmosphériques, faisant penser à un Alphaville décuplé voire « amélioré », la partie finale semble quitter pour de bon les derniers rouages de « l’étiquetage » et de se propulser tête en avant dans les affres de l’expérimentation. Hybride est bien le terme. De l’invocation d’un Miles Davis période électrique sur « In the Pleasure Of Their Company » au cauchemar éprouvant qu’est « Bezumbaya » jusqu’au déviant « Maximalist Scream », Imperial Triumphant joue avec attentes, perceptions et ressentis d’écoute.

Imperial Triumphant Spirit Of Ecstasy Band 2

Spirit of Ecstasy est une fantasmagorie angoissante, passionnante, déroutante, exigeante, bref, un nouveau tour de force fascinant de la part de ces américains venant d’une réalité parallèle. À ce stade, l’étonnement n’est même plus une surprise, l’effarement stylistique du groupe est devenu une norme. Comme Alphaville, on peut trouver ça chiant, intello et hermétique, cependant l’exigence dont il est fait preuve ici, à prendre et non à donner, transforme l’écoute de ce nouveau chapitre environnemental en expérience enfiévrée de l’imaginaire. Car, « figurer un mal, représenter un danger, symboliser une angoisse, c’est déjà, par la maîtrise du cogito, les dominer ». (Gilbert Durand)

http://www.imperial-triumphant.com/

 

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