Gong – La trilogie « Radio Gnome Invisible »
Gong – La trilogie « Radio Gnome Invisible » – Flying Teapot (1973) / Angel’s Egg (1973) / You (1974)
Même si Camembert Electrique, sorti en 1971, laissait entrevoir pour le groupe Gong l’ébauche d’un monde imaginaire avec des gnomes amateurs de camembert et des personnages de fiction incarnés par les protagonistes eux-mêmes, ce n’est que deux ans plus tard, avec Flying Teapot, que cet univers prend forme. De Bert Camembert, Daevid Allen est devenu Dingo Virgin, tandis que sa compagne Gilli Smyth reste Shakti Yoni. Le compagnon des débuts de l’aventure Gong, le flûtiste et saxophoniste Didier Malherbe, alias Bloomdido Bad De Grass, est toujours là. Le bassiste Francis Moze, également appelé Francis Bacon, a rejoint la troupe de joyeux drilles après avoir quitté les hommes en noir de Magma. Laurie Allan, alias Lawrence The Alien, est désormais le batteur, tandis que deux anciens reviennent : Rachid Houari, qui répond aussi du sobriquet loufoque Rachid Whoarewe The Treeclimber, aux percussions, et Tim Blake, alias Hi T Moonweed The Favourite, ingénieur du son sur les débuts du groupe, maintenant clavier de la formation. Enfin, le guitariste Steve Hillage, que ses comparses de Gong nomment Stevie Hillside, vient épauler Captain Capricorn (autre sobriquet du fondateur) dans les solos de guitare.
La musique est toujours aussi déjantée. On retrouve ainsi de la pop psychédélique fantasque (le morceau d’ouverture tour à tour sinistre et enjoué avec son sax solemnel, mais aussi le beatlesien Pot Head Pixies). Les voix peu soucieuses d’une quelconque convention de The Australian Alien ajoutent à la fantaisie. Par ailleurs, des touches de jazz-rock enivrant viennent émailler l’ensemble. Ainsi, le morceau-titre rappelle étrangement le Miles Davis de l’époque, là où le premier pont instrumental de « Zero The Hero And The Witch’s Spell » ferait penser au jazz latin de Gato Barbieri, le phrasé rêche du saxophone de Bloomdido appuyant ce constat. En outre, c’est par le biais de moments planants (assurés par les glissandos du maître de cérémonie et par les voix éthérées de sa compagne) que l’aspect mystique de l’univers de nos hurluberlus est mis en évidence. Les synthés de Tim Blake vont quant à eux contribuer à forger le caractère cosmique tant nécessaire pour une histoire de planète imaginaire et d’extra-terrestres. Car en effet, avec Flying Teapot, c’est un véritable scénario de film fantastique qui se noue autour du personnage principal, Zero The Hero. L’on nous conte ses tribulations sur la Planète Gong, sa rencontre avec les Pot Head Pixies et Yoni la sorcière. Ce sont également les prophéties des Octave Doctors, et la « Crystal machine » qui nous sont présentés. Cette dernière assure des transmissions de pensée à partir d’une radio pirate, celle-là même qui donnera le nom à la trilogie, à savoir « Radio Gnome Invisible », dont Flying Teapot constitue le premier volet. L’idée de cette théière volante serait inspirée du principe de la théière de Russell, selon lequel il reviendrait aux croyants de prouver l’existence de Dieu et non aux athées de prouver sa non-existence. Daevid en aurait certainement retenu davantage l’image (une théière en orbite autour du soleil) que la théorie. Poussé par un regain de créativité, le créateur inspiré ne mettra pas longtemps avant de mettre sur pied le deuxième volet, paru la même année.
Avec Angel’s Egg, l’histoire de Zero reprend là où elle se terminait sur Flying Teapot, à savoir notre héros remettant des « fish & chips » au chat de Yoni. Le noyau dur de la formation est toujours là mais la valse des batteurs continue. Cette fois-ci ce sera le talentueux Pierre Moerlen, alias Pierre De Strasbourg, qui sera l’heureux élu. Les parties de percussion sont confiées à Mireille Bauer, alias Mirielle De Strasbourg, tandis que Mike Howlett, alias T. Being Esq. remplace Francis Moze à la basse. L’humour se retrouvera non plus seulement dans la musique mais également dans les mots. En effet, Daevid s’est amusé à rendre les noms du personnel et des instruments plus fantaistes en modifiant l’orthographe (Howlitt, Moerlin, Mirielle, floot, lewd guitar). C’est également dans les titres des morceaux et dans l’histoire illustrée de ce deuxième volet qu’il s’est livré à cet exercice (luv, niver, cuppa, wots, planit…). Sur le plan musical, les ingrédients restent les mêmes. Cependant, la production est nettement meilleure, et les ambiances plus feutrées et davantage élaborées, notamment grâce au jeu coloré de Pierre et à une plus grande contribution des claviers. Les solos de Bloomdido s’étirent également davantage dans le temps, donnant plus de souffle (c’est le cas de le dire !) au canevas sonore. Là où Steve Hillage joue sur les ambiances mélancoliques dans les éplorements « fuzz » de sa guitare, son jeu délicat en revanche (« Prostitute Poem »), de même que le glockenspiel de Mireille Bauer (« Selene ») participent de l’élégance de ce second volet des aventures de Zero au pays des théières volantes. Les marimbas de Mireille et la pièce solo de Pierre viennent par ailleurs apporter une couleur ethnique à l’édifice, caractéristique qui sera amplifiée après le départ de Daevid Allen. Cet album est considéré à raison comme le sommet de la carrière de Gong, toutes périodes confondues, les différents courants que Dingo Virgin aime se faire croiser, ainsi que le travail des voix, n’ayant jamais été aussi raffinés.
L’album qui clôture la trilogie « Radio Gnome Invisible », You, continue à privilégier les ambiances soyeuses, mais c’est la première fois que l’ensemble des membres de la formation contribuent de manière collective à l’écriture, Tim Blake étant même cette fois-ci omniprésent. Aux membres présents sur Angel’s Egg, se sont joints le frère de Pierre, Benoît Moerlen, pour épauler Mirelle, et la compagne de Steve, Miquette Giraudy, pour accompagner Gilli dans ses voix. Ainsi, le versant mystique est assuré par les incantatoires « Thoughts For Naught » et « Magick Mother Invocation », là où les hypnotiques « Master Builder », « A Sprinkling Of Clouds » et l’hymne jazz-funk « The Isle Of Everywhere » apportent le côté cosmique. Le chant étant moins présent, l’humour l’est fatalement d’autant moins. Ce sont les pièces légères, « A P.H.P’s Advice » et « Perfect Mystery », qui se chargent de le distiller. Le troublé « You Never Blow Your Trip Forever » clôture avec mélancolie une belle trilogie mais en même temps, avec ses « Bye Bye », est annonciateur de la fin de l’aventure pour Daevid Allen et sa compagne Gilli Smyth. A la grande surprise de leurs fans, ceux-ci reprendront néanmoins les rênes de leur projet une quinzaine d’années plus tard. Mais ceci est une autre histoire !
Lucas Biela
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