Feu! Chatterton – Palais D’Argile

Palais D'Argile
Feu! Chatterton
Caroline Records
2021
Fred Natuzzi

Feu! Chatterton – Palais D’Argile

Feu! Chatterton Palais D'Argile

Chaque album de Feu! Chatterton est une promesse de voyage, une exploration à plusieurs niveaux, tant langagier que musical, une surprise de tous les instants. Par moment, on se heurte à des sentiments mitigés où l’on se dit que la route est caillouteuse, semée d’embûches, mal adhérente; à d’autres, on est subjugué par la vue qu’offre la route sur l’horizon, ou par un petit détail que l’on aurait décidé de contempler. Le pilote n’est nullement le chanteur Arthur Teboul, ni d’ailleurs les musiciens du groupe. Ce ne sont pas non plus nous, les passagers, qui décidons où aller. La proposition se fait en collectif. Les passagers peuvent décider d’emprunter une autre route et de laisser le chanteur faire sa propre voie, soutenu par le groupe, mais il arrive aussi que ce dernier emmène le chanteur retrouver ses passagers. Mais tous vont dans une même direction. Je ne sais pas si je suis suffisamment clair, mais Feu! Chatterton ne laisse jamais indifférent. Ce serait une erreur de croire que la théâtralité apportée par le chant d’Arthur fait l’identité du groupe. Les musiciens de ce combo sont exceptionnels par leur maîtrise des différents genres qu’offre ce troisième opus, Palais D’Argile, comme d’ailleurs pour les précédents. S’il y a bien une formation qui n’hésite pas à prendre des risques, et ce, depuis ses débuts, c’est bien celle-là. Si j’ose faire une comparaison, prenez un groupe comme Ange (pour la théâtralité), associez-le à un autre, aventureux, qui crée des ambiances, des atmosphères, avec un conteur d’histoire, par exemple Marillion sur ses derniers albums, et vous obtenez un peu de l’identité de Feu! Chatterton. Il faut y rajouter les influences de la chanson française, de Léo Ferré à Alain Bashung en passant par Serge Gainsbourg et bien entendu, la patte propre du groupe. Et cela fonctionne ! En témoigne leur public, de plus en plus nombreux et la reconnaissance des Victoires de la Musique. Ce n’est pas rien. Comment concilier exigence des textes, poétiques et évocateurs, et l’hardiesse des musiques, complexes, parfois à tiroirs, ne recherchant jamais la facilité ? Comment justifier le succès ? Un miracle. Une recette que l’on n’explique pas.

Feu! Chatterton Palais D'Argile Band 1

L’écoute de Palais D’Argile étonne encore par les choix faits tout au long de ces 13 morceaux où l’on décèle la joie et l’enthousiasme portés par le succès précédent mais aussi l’envie de pousser l’exploration plus loin et un thème qui ressort: le monde de demain. Certains morceaux sont immédiats et accessibles, d’autres sont plus complexes, plus sombres, mais tous sont brillants, intelligents et bien construits. Encore une fois, il faudra plusieurs écoutes pour apprivoiser le travail réalisé sur cet album. C’est un « grower » comme le disent nos amis d’outre-manche. Plus on l’écoute, plus on adhère. Il faut donc se plonger réellement dans le disque. Pour ce Palais D’Argile, la surprise vient de la couleur électro, présente un peu partout (mais pas que), apportant une certaine « modernité », si tant est que ce mot veuille représenter quelque chose. On a pu par le passé reprocher à Feu! Chatterton un aspect suranné dû au chant très expressif d’Arthur Teboul, mais ici, il est parfois soutenu par une musique plus « à la mode » et son lyrisme de chant est renforcé en puissance. C’est le cas des trois premiers morceaux, « Monde Nouveau », single évident au refrain entêtant, « Cristaux Liquides » et « Écran Total », titre sur lequel Arthur se déchaîne comme jamais, peut-être même trop. Pourtant, chacun des morceaux de l’album mélange les styles, l’électro côtoie le jazz, la pop le progressif, la chanson…, et tout cela avec une grande cohérence et une liberté épatante. « Cristaux Liquides » en est le parfait exemple.

Feu! Chatterton Palais D'Argile Band 2

Palais D’Argile n’est pas exempt de moments moins convaincants, on l’a déjà vu avec « Écran Total ». Ce n’est pas le cas pour le sublime « Avant Qu’Il N’Y Ait Le Monde », poème porté par un piano magnifique et une texture mélancolique grandiose. « Compagnons » par contre, est dispensable même si sympathique. Il contraste trop fortement avec le morceau précédent. « Aux Confins » revient à une ambiance électro tendue, superbement construite, un des meilleurs moments de l’album. « La Mer », instant suspendu, est guidé par une musique sous forme de vague qui nous amène, balance, berce et déverse sur le rivage. Le gros morceau du disque, c’est « Libre » avec ses neuf minutes beaucoup plus rock, sa rythmique plus lourde où les guitares sont de sortie. Un vrai plaisir où l’on sent une volonté de laisser la musique aller où elle le souhaite, sans contraintes. C’est rare et c’est là que Feu! Chatterton est indispensable. « Ces Bijoux De Fer » retrouve peut-être la patte du groupe des opus d’avant, vignette filmique 70’s, avant un court « Panthère » guitare voix, en forme de transition, même si le disque aurait pu s’arrêter là. Effectivement, la suite n’a rien de chansons bonus ! Retour à l’électro avec « Cantique » et on ne peut qu’admirer cette qualité de construction dans la durée du morceau et dans son atmosphère. « L’Homme Qui Vient », celui de demain, repose sur un titre qui démarre mollement avant une belle montée en puissance réjouissante. Enfin, « Laissons Filer » ne réconciliera pas les allergiques au chant particulier d’Arthur (de toute façon, ils n’auront pas tenus jusqu’ici) dans un morceau encore une fois superbement construit, mais qui, étonnamment, ne retient pas autant l’attention que ça. Une errance qui me perd en chemin, me retrouve à certains tournants pour mieux me laisser plus tard.

Feu! Chatterton Palais D'Argile Band 3

Palais D’Argile offre de sublimes moments et d’autres moins percutants, parfois même à l’intérieur d’une même chanson. Pourtant, la fascination qu’exerce ce groupe est toujours présente, la liberté avec laquelle ils font leur chemin est réjouissante, et on ne peut qu’encourager cette création assez unique en France. Même si ce troisième album aurait peut-être mérité d’être plus court, il n’empêche que sa qualité se démarque bien au-dessus du lot. Un grand bravo à Sébastien Wolf, Raphaël De Pressigny, Clément Doumic, Antoine Wilson et Arthur Teboul pour cette créativité à fleur de peau et à Arnaud Rebotini pour son étincelante production. Et vivement les concerts !

http://feuchatterton.fr/

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