Djam Karet – The Trip

The Trip
Djam Karet
2013
HC Productions

Djam Karet – The Trip

S’il existe sur la planète un groupe de rock à tendance « progressive » qui, par le caractère invariablement protéiforme et spontané de sa musique, surprend son public à chaque nouvelle parution d’album, c’est bien Djam Karet ! Et comme ce combo originaire des USA reste injustement méconnu dans l’hexagone, malgré une déjà longue et productive carrière, un minimum de présentations s’impose. Djam Karet (dont l’étrange patronyme est composé d’un mot Indonésien que l’on peut traduire par « le temps élastique ») a été fondé en 1984 au Pitzer College, un campus de Claremont en Californie, à l’initiative des guitaristes Gayle Ellett et Mike Henderson, du bassiste Henry J. Osborne (qui a quitté le navire depuis), et du batteur Chuck Oken Jr. Au départ, le jeune groupe au propos entièrement instrumental s’intéresse surtout à l’expérimentation et à l’improvisation pure, avec de très nombreuses prestations live à l’appui. Leur style unique, et finalement inclassable jusqu’à aujourd’hui, combine un rock aventureux avec des éléments empruntés aux musiques « drone » et texturales. Au fil du temps et des parutions, le groupe se laissera aller à davantage de concision et de structuration dans son processus créatif, avec à la clef des compositions et des albums plus aboutis (citons ici en point d’orgue l’excellent « Recollection Harvest » de 2005).

Gage de qualité, Djam Karet signera à la fin des années 90 chez Cuneiform Records, prestigieux label indépendant américain dédié aux musiques avant-gardistes à base de rock, de jazz, d’électronique, ou de tout cela à la fois ! La maison de disques aura également la bonne idée de rééditer au passage une partie de son back-catalogue, qui comporte quelques bien jolies perles, telles que « The Devouring » ou encore le fabuleux et antagoniste diptyque « Burning The Hard City »/ »Suspension & Displacement », meilleur résumé qui soit de tout l’univers Djam Karet ! Le quintet californien nous avait laissé en 2010 avec « The Heavy Soul Sessions », un disque de reprises plutôt flamboyantes de son propre répertoire, exception faite d’un titre de Richard Pinhas, pionnier de la musique électronique française et ex-membre d’Heldon, formation dont l’œuvre générale est à ranger quelque-part entre King Crimson, Can et l’école Zeuhl de Magma. Sur cet album au matériel « revisité » et enregistré en mode « live in the studio » pour une spontanéité optimale, Djam Karet nous délivrait sûrement le versant le plus dynamique de son art, avec une fougue que nous n’avions pas entendue chez eux depuis bien longtemps (un deuxième guitariste permanent y rejoignait le line-up en la personne de Mike Murray). Puissant, groovy, psychédélique, dissonant sans oublier d’être mélodique, regorgeant de guitares tantôt rageuses, atmosphériques, et d’un festival de claviers virevoltants (Hammond et Mellotron en tête), le disque est une nouvelle réussite à créditer à l’actif des californiens.

Ces derniers nous reviennent aujourd’hui avec le bien nommé « The Trip », qui n’est autre qu’une unique et longue plage fleuve de 47 minutes, que je qualifierai personnellement d' »ambient-rock » à défaut de « rock-ambient ». En effet, j’appliquerais plutôt ce second qualificatif au Porcupine Tree des débuts, dont les chansons aériennes et éthérées incorporaient ici et là (avec un incontestable brio) des éléments empruntés à cette grande famille musicale à part entière, bien souvent totalement incomprise par les amateurs de rock progressif au sens large. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Djam Karet a collaboré à plusieurs reprises avec Steve Roach, l’un des grands maîtres et chefs de file du genre, artiste que j’affectionne tout particulièrement et grâce à qui j’ai pu découvrir il y a des années ses talentueux compatriotes de la côte Ouest. Avec « The Trip » (qui risque donc d’en désorienter plus d’un !), c’est bel et bien le contraire qui se passe, l’album étant conçu comme une longue pièce texturale et immersive à souhait, à écouter en continu, ponctuée de quelques passages « rock » avec, en guise de climax, un déferlement rythmique « space » et heavy typiquement 70’s qui doit tout autant au meilleur Hawkwind qu’aux italiens de Goblin !

En quelques secondes, « The Trip » s’ouvre sur des vents à la « Meddle » (de qui vous savez), quelques bidouillages électro-analogiques dignes d’un vieux film de SF et une mélodie acoustique évoquant les premières fresques pastorales de Mike Oldfield. Puis c’est parti pour un voyage cosmique et imprévisible sans escale, ou l’instrumentation habituelle du rock s’entremêle avec des nappes atmosphériques et des bruitages synthétiques, sans oublier quelques très jolies contributions acoustiques signées Gayle Ellett (à base de flûte et bouzouki), qui ponctue également « The Trip » de textures naturelles enregistrées par ses soins. L’album comblera de bonheur les fans des premiers Tangerine Dream, Pink Floyd, Popol Vuh (ambiance « Aguirre » signalée à 12’17 !), mais aussi de sonorités plus modernes, avec en références le Porcupine Tree planant, Bass Communion (Steven Wilson, encore !), voire le Future Sound Of London de la période « Lifeforms ».

La production sonore signée Gayle Ellett et Chuck Oken Jr est assez remarquable, et le « trip » n’en sera que meilleur avec un bon casque rivé sur le crâne, en position allongée et les yeux fermés, paré pour le voyage intérieur. Stimulé par les méandres d’une musique passionnante en constant mouvement, entre envolées psychédéliques jubilatoires et apaisements climatiques, votre imaginaire risque de vous réserver de bien agréables surprises ! Si vous ne connaissez pas encore Djam Karet malgré une longévité qui n’altère en rien son étonnante forme créative, le contemplatif et émotionnel « The Trip », joyeux cocktail ambient, prog et krautrock, est une excellente occasion de vous y mettre… Enfin !

Philippe Vallin (8,5/10)

http://www.djamkaret.com/

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