Clair – La Maison Magique
Maison Magique / Edis Editions
2023
Franck Houdy
Clair – La Maison Magique
Clair nous présente aujourd’hui son premier album, La Maison Magique. Elle fait partie de l’entourage musical de Philippe Katerine depuis de nombreuses années. Choriste et danseuse pour le trublion, il lui signe ici un premier album gorgé de trouvailles, au sein de son tout nouveau label « Maison Magique ». Que l’on se le dise d’emblée, nous sommes ici dans un tout autre registre que celui du Pygmalion et de son interprète. Clair affiche ici une personnalité bien trempée, un second degré assumé et un goût prononcé pour la provocation rieuse qui prennent le pas sur cette figure tutélaire qui pourrait être difficile à effacer. Aussi, non contente de propager si aisément sa rafraîchissante espièglerie, Clair nous attrape, pour ne plus nous lâcher, dès les premières secondes de son album avec ce génialissime « Tout Est Dans La Tête ». J’ai passé des jours à le fredonner, à le siffloter, même en phase d’endormissement, c’est dire l’impact de ce morceau au discours salvateur: « Arrête tes conneries Viens jouer avec moi Arrête tes soucis n’existent pas Tout est dans la tête Tu le répètes Fais-toi couper la tête Fais-toi couper la tête ». Le ton est donné d’un album plein d’inventivité et d’humour sans pour autant se perdre dans la chanson sans intérêt, bien au contraire. Sous ses aspects légers, tout y est léché et précis même dans le décalage.
Suit « Saint-Gilles Croix-de-Vie », chanson flirtant avec des ambiances très smooth aux teintes musicales évoquant la grande époque des standards californiens. Le son nous évoque les Fagen, Cros et Jarreau, il y a pire ! Alors oui, on entend presque instantanément la patte Philippe Katerine mais est-ce un problème ? Le fait est que non. Au contraire même. Je dirais que c’est plutôt une façon nouvelle d’aborder les rives de cet artiste si attachant et créatif tout en découvrant une nouvelle artiste complète. Si l’empreinte Katerine est clairement identifiable, Clair la complète en surimpression d’un ton et d’un timbre de voix qui font de ce cocktail un breuvage addictif. Réunis sous la même bannière d’un fun désinvolte, Clair ne fait cependant pas l’impasse sur une interprétation impeccable, tout en douceur et sourire. Ici, rien n’est lourdement appuyé pour stimuler la rigolade, non, c’est le plaisir enfantin et assumé du jeu qui est mis en avant et que ça fait du bien.
Chanson après chanson, on se sent maintenu dans une vibe de légèreté et de « Joie » « Si j’avais perdu tous ceux que j’aime Je ne chanterais pas la joie Je ferais pas la zinzin Dans ton pyjama ». Avec « Mon Anniversaire », l’album bascule dans une composition plus libre, plus éloigné des formats edit radio. Cette liberté on la retrouve également dans « Pull Mohair » avec ce jeu sur les répétitions, l’utilisation des voix de chœur. Là aussi, on a beaucoup de plaisir à se retrouver convié à goûter cette originalité qui bouscule un peu les schémas entendus et convenus de la chanson. L’album est truffé d’arrangements aux sonorités jazz, groove et bossa-nova. Ici, une guitare wahwah, là un Rhodes chaloupant, toujours un belle ligne de basse au son sec bien structurée. Et puis il y a CE morceau « Toutoutout » (featuring Grégori Czerkinsky). Un gros lâchage qui commence à voix basse « Et oui C’est le temps de la tristesse C’est le temps du pas content Le temps du pas jouasse C’est pas la classe » pour en venir à « Toutoutoutoutout Tout l’monde me fait chier yeah yeah yeah ». Allez écouter ça, c’est magnifique ! Ou encore « On est tous en single Avec le WiFi en linceul À la prison d’la santé ». Bref, c’est un grand défouloir orchestré tout en finesse et suavité jusqu’au dernier vers si… hihihi ! Que ça fait du bien ! « Marie Douceur » est une fois de plus un exemple de la richesse des compositions de cet album. En 2’24 on va de surprise en surprise : amusement avec les mots, profondeur et humour mêlés, citation des Rolling Stones, cassures rythmiques, chœurs soignés, évocation hippisante.
L’album se termine sur « La Huldran », hypnotique chanson cristalline qui apporte un éclairage somptueux sur la voix soufflée et tout en maîtrise de Clair. Très différent des autres titres de La Maison Magique, ce morceau clôt ce LP d’un « Viens Suis-moi » qui semble une ouverture vers d’autres contrées aux ambiances plus sombres et mystérieuses. Et chez Clair & Obscur, c’est peu dire que l’on adore ce grand écart ! Ici ce sont les traces de ses racines suédoises que Clair laisse surgir et qui se révèlent être une promesse qui nous laisse béas et curieux d’en découvrir davantage. Une réussite. Qui sait, peut-être lirez-vous ici, un jour prochain, une chronique sur un projet plus obscur de Clair ? À l’écoute de cette dernière chanson, on ne peut que le souhaiter et l’encourager de nos vœux.
En résumé, le premier album de Clair est une découverte à ne pas laisser filer entre vos doigts, une voix contre laquelle vous pourrez désormais vous blottir quand vous sentirez la pesanteur vous lester et le sourire prendre trop la tangente. Clair sera en concert au Café de la danse le 11 mai et Clair & Obscur y sera !
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