Chandelier – Pure + Facing Gravity
Chickadisc
2018 (rééditions)
Christophe Gigon
Chandelier – Pure + Facing Gravity
Ce premier disque des Allemands de Chandelier voit le jour en 1990, alors que la vague mode du rock néo-progressif des années 80 (Marillion, Pendragon, IQ, Pallas ou Twelfth Night) est en train de s’étioler. À ce moment-là, Pendragon et IQ sont en stand-by et Marillion essaie de ne pas perdre trop de fans avec son nouveau chanteur à qui incombe la lourde tâche de remplacer le charismatique Fish, embarqué dans une carrière solo. Le même Fish qui aura d’ailleurs influencé une kyrielle de clones, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, Martin Eden, vocaliste de Chandelier, peut être présenté comme un imitateur de Fish même si on peut bien imaginer, vu son âge, qu’il a plutôt dû vibrer à l’écoute des albums de Genesis. Cela posé, ce chant typique, si maniéré, ne s’avère en rien rédhibitoire. Au contraire, ces mélodies lyriques et affectées s’accordent parfaitement aux climats brossés par les autres musiciens. Il s’agit donc bel et bien de rock néo-progressif pur sucre…avec tout ce que cela implique.
Au rayon des bonnes nouvelles : des lignes mélodiques d’une rare pureté, un guitariste racé et méticuleux, un chant parfaitement maîtrisé et des compositions audacieuses mais toujours au service du format « chanson ». Les mauvais plis restent donc à relever du côté de la production, datée et bien trop portée sur les claviers. Cependant, Pure n’est ni pire ni meilleur que n’importe quelle production des autres ténors du genre de l’époque qu’étaient Aragon, Collage ou Shadowland. Dix morceaux de toute beauté même s’ils n’atteignent jamais la perfection de ceux qui seront présents sur l’incroyable Facing Gravity, qui sortira cinq ans plus tard. Pure : un coup d’essai qui ne constitue en rien un coup de maître mais qui aura fait office de détonateur pour ce qui sera perçu comme un véritable chef-d’œuvre du genre en 1995. A relever que le second disque compact, nettement plus anecdotique, est constitué d’une dizaine de titres, que l’on retrouvera sur l’un des deux albums déjà cités, mais qui faisait alors partie d’une cassette audio auto-produite nommée Fragments, sortie en 1988.
Au début des années 90, Chandelier a fait l’effet d’une bombe ! Le nouveau Marillion serait donc allemand ? Hélas, l’histoire a tourné court. Trois très bons disques puis s’en sont allés les chevaliers teutoniques. Pourtant cette excellente formation de Neuss, une ville de taille moyenne près de Düsseldorf, avait de quoi conquérir un énorme public. L’atout principal de Chandelier reste la voix absolument épatante de Martin Eden. On croirait celle-ci synthétisée à partir de cellules vocales des meilleurs ténors du genre : un peu de Fish (Marillion), un peu de Les Dougan (Aragon), un peu de Peter Gabriel (Genesis) et beaucoup, beaucoup de Phil Collins. L’autre avantage du quintette germanique est la qualité des compositions. Il s’agit toujours de véritables chansons – certes parfois très alambiquées – mélodiques, poignantes et aux refrains tellement catchy. Dans le genre, difficile de faire mieux. Certes, la production de l’époque, trop axée néo-progressive, pourrait dégoûter une certaine partie d’un public plus habitué aux sonorités vintage ou « rétro-progressives » (The Flower Kings ou Transatlantic). Mais si des galettes comme Fugazi (Marillion), Nomzamo (IQ) ou The Jewel (Pendragon) forment vos piles de disques de chevet, il ne faut plus hésiter : Facing Gravity va faire chuter votre colonne de CD et rester votre œuvre chérie pour l’année 2019 et au-delà !
Quand, deux ans après Pure, toujours sur leur propre label Sisyphus Records, la suite tant attendue se fit entendre, ce fut le choc, dans tous les fanzines ou magazines orientés rock progressif ou mélodique. La presse, unanime, avoua que l’on venait peut-être de découvrir le Graal musical. Avouons que la petite dizaine de titres qui composent cet album parfait restent incroyablement bien construite et pensée, même pour nos standards de 2018. Cette réédition propose, en plus des pistes originales d’époque, les bandes d’un concert donné par le groupe au défunt 143 (salle mythique dans laquelle se devait de jouer tout ce que le rock néo-progressif comptait de remarquable), à Paris, le 24 avril 1993. Cette prestation, absolument irréprochable, démontre le grand professionnalisme de la troupe allemande. Un extrait magnifique de « Firth Of Fifth » de Genesis vient superbement s’intégrer au long morceau de bravoure de Chandelier : « A Glimpse Of Jericha ».
Il n’est pas nécessaire de dégager un titre parmi les autres. L’album en entier est si cohérent et si maîtrisé qu’il s’agit de le considérer comme une seule œuvre d’art et non comme une collection de titres, même si chaque piste peut s’appréhender comme un single potentiel, tant la production a toujours veillé à ne jamais laisser la flamme (de Chandelier) vaciller du côté sombre du rock progressif (démonstrations stériles, soli interminables, textes abscons ou versant dans l’heroïc fantasy, longueur décourageante de certains passages et autres tics si courants chez d’autres tenants du genre). A noter que, malgré tous ces atours, cette création n’a naturellement pas marqué le monde médiatique, empêtré dans son revival seventies et le grunge naissant. A l’image du sémillant bourdon qui orne l’illustration de pochette, Facing Gravity se joue des analyses rationnelles et des statistiques de réussite. Cette musique n’avait – selon les critères journalistiques de l’époque – absolument rien pour elle. Or, il s’agit d’un joyau. Ainsi, laissons aux entomologistes le mot de la fin : Les principes de l’aérodynamique montrent qu’il est impossible pour une aile d’une surface de 0,7 cm2 de supporter, en vol, un poids supérieur à 1,2 gramme, Le bourdon, totalement ignorant de ce fait, vole, tout simplement.
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