Bjørn Berge – Heavy Gauge

Heavy Gauge
Bjørn Berge
Blue Mood Records
2021
Thierry Folcher

Bjørn Berge – Heavy Gauge

Bjørn Berge Heavy Gauge

Bjørn Berge (prononcez Bergué) est un géant, de part sa stature bien sûr mais aussi de part sa virtuosité à la guitare. Ce qu’il arrive à faire avec une six (ou douze) cordes relève tout simplement de la magie. Une technique particulière héritée du banjo et de ses premiers pas dans le bluegrass. Un savoir-faire réunissant picking et slide au service d’un impressionnant jeu de funambule sur tout le manche. Bjørn Berge est né à en 1968 à Haugesund en Norvège. Il fait partie des plus grands guitaristes européens et que ce soit sur scène ou sur disque, ses prestations sont très attendues par le public et les médias. Heavy Gauge, sa toute dernière production, vient compléter un catalogue déjà bien fourni de galettes essentiellement orientées blues-rock. Si vous faites abstraction de son nom à forte consonance scandinave, il y a des chances que sa musique, sa voix et même son look vous envoient directement vers les méandres du Mississippi aux côtés de Robert Johnson et d’Elmore James. Bjørn nous explique que cette musique l’a complètement envoûté dans sa jeunesse et que la formule actuelle, très acoustique, sert parfaitement sa vision du blues et son travail en solo. La plupart du temps, il est seul avec sa guitare, s’accompagnant uniquement du martellement de son pied comme percussion. Un dépouillement qui n’empêche pas des incartades électriques et l’approche d’autres styles. A titre d’exemple, ses reprises de « Hush » (Deep Purple) et de « Ace Of Spades » (Motörhead) valent le détour et nous montrent sa forte inclinaison pour le métal. Il y a beaucoup d’énergie dans ses morceaux et sa voix rocailleuse qui flirte souvent avec celle de Tom Waits, rajoute force et authenticité à son interprétation.

Heavy Gauge fait suite au percutant Who Else ?, un album électrique très direct et joué en trio. La pochette était plutôt menaçante avec un titre quelque peu provocateur. Sur ce nouveau disque, c’est un retour à l’apaisement, à une formule acoustique presque en solitaire (seulement trois titres sur les neuf sont joués en groupe) et à un visuel beaucoup plus sympathique. Ici, Bjørn se présente en clone d’Elliott Murphy, armé d’une superbe guitare 12 cordes et avec un regard semblant dire : « attention les gars, ici c’est du fort tirant (heavy gauge) ». Et franchement, la formule n’est pas usurpée, loin de là. C’est tendu, rugueux dans les notes et les mots, mais avec des passages caressants qui touchent au plus profond de l’âme. Du blues, quoi ! La grande force de Bjørn, c’est de ne jamais tomber dans la démonstration pour privilégier le feeling et le bien-fondé de sa démarche. Mais ce que j’aime retrouver dans sa musique, ce sont ces changements de directions qu’on ne voit pas venir et qui illuminent un morceau apparemment bien installé dans une progression classique. Dans « The Wrangler Man » par exemple, les breaks, aussi inattendus qu’évidents, surprennent par leur musicalité et leur nouvelle orientation. Le titre jusque-là assez familier prend aussitôt une toute autre dimension. Pour les frileux du genre, je peux vous assurer que la palette musicale de notre viking est suffisamment étendue pour ne pas tomber dans une âpre évocation roots. Lorsque surgissent les premiers échos de « Coliseum » avec ses percussions reggae, son chant en forme d’hymne et son solo léger, on est bien loin du carcan blues habituel. Ce titre m’a rappelé le Lafayette de CharlElie Couture (2016), un disque à part et malheureusement passé presque inaperçu.

Bjørn Berge Heavy Gauge Band 1

Toutes les chanson de Heavy Gauge ont été écrites en grande partie pour la guitare et le chant par le tandem Ellis Del Sol/Bjørn Berge. Un dépouillement tout relatif agrémenté de courtes apparitions des fidèles Kjetill Ulland à la basse et Kim Christer Hylland à la batterie. Neuf titres donc, qui vont servir un genre musical ultra récuré mais qui trouvent ici une interprétation nordique pleine de charme. Tout d’abord, si vous avez des doutes sur les accointances de Bjørn pour le métal, je vous invite à écouter « Rip Off », un brûlot acoustique qui déboule à toute allure et éclaire l’album d’un feu incandescent. Les interventions vocales sont menaçantes et la guitare nous renverse dans un registre très rapide mais qui sait ralentir pour devenir aérien et mélodique. C’est ce mélange de glace et de feu qui prédomine sur ce court album (seulement 33 minutes) où l’ennui et la fadeur n’existent pas. En grattant un petit peu, vous allez découvrir sous la surface de ce rude personnage une authentique sensibilité, capable de produire un morceau comme « Bound To Ramble » où la voix et la guitare se vulnérabilisent légèrement. Ici le jeu de slide est démoniaque et l’enregistrement rend hommage à cette promenade de toute beauté. On repère aussi le solo pétillant de « A Matter Of Time », le classique « Stray Dog » aux tournures instrumentales et vocales bien connues et la petite valse de « Bottle Floats » qui clôt l’album dans une tension maîtrisée.

Bjorn Berge Heavy Gauge Band 2

« Heavy Gauge » est un terme anglais qui détermine le tirant des cordes de guitare. Et ce sont bien elles, les grandes gagnantes du disque. Le jeu de Bjørn leur rend hommage grâce à son talent et un enregistrement de premier plan. Elles vibrent, claquent, glissent et même s’étouffent pour le plus grand plaisir des nos oreilles attentives et exigeantes. Si vous ne connaissez pas encore Bjørn Berge, je pense que cet album est un excellent point d’entrée pour faire sa connaissance. Chez lui, il y a toute la sincérité et tout l’amour nécessaire pour vous amener dans son univers musical avec passion et modernité.

https://bjornberge.bandcamp.com/album/heavy-gauge

 

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