Bertrand Loreau – Journey Through The Past

Journey Through The Past
Bertrand Loreau
2012
Spheric Music

Bertrand Loreau – Journey Through The Past

L’actualité est riche ces derniers temps pour le compositeur français de musiques électroniques progressives Bertrand Loreau. En effet, non content d’avoir publié récemment chez Ruralfaune son nouvel album « Promenade Nocturne », très certainement le plus expérimental et original d’entre tous, l’artiste voit éditer sur le label allemand Spheric Music un bien joli panorama d’ouvrages anciens enregistrés entre 1982 et 1988. Ceux-ci, sélectionnés et regroupés dans un album qui porte merveilleusement bien son nom, s’inscrivent pleinement dans la continuité du style « Berlin school », initié dans les années 70 par les pionniers que sont Klaus Schulze, Tangerine Dream et consorts. En France, Bertrand Loreau peut à juste titre être considéré comme le gardien, voir le « passeur » de cette tradition musicale captivante, qui a ouvert en son temps des voies créatives d’une richesse inouïe, avec à la clef des escapades intérieures captivantes, à la découverte d’autres univers et espaces sonores.

Pourquoi ce statut ? Tout simplement parce que le musicien nantais, en compagnie de son compatriote et alter-ego Olivier Briand, lancent conjointement en 1995 Patch Work Music, une dynamique association culturelle qui regroupe aujourd’hui divers compositeurs de musique électronique dans l’hexagone. Tous sont de dignes et talentueux héritiers de cette fameuse école de Berlin, et partagent ensemble un amour immodéré pour les claviers, synthétiseurs et autres curieuses machines à sons, avec en point d’orgue toute cette vieille et extraordinaire lutherie analogique au charme désuet, mais aux textures sans pareil. Le collectif orchestre lui-même la production et la diffusion de ses propres œuvres, à travers la réalisation de supports numériques commercialisés via leur site web, l’organisation de concerts et autres événement dédiés à cette culture musicale à part entière. Ce n’est donc pas un hasard si Lambert Ringlade, maître d’œuvre (et lui-même musicien compositeur), du label allemand Spheric Music, entièrement consacré au genre, s’est intéressé à cette effervescence innatendue de la nouvelle « french school ».

Cela nous emmène à la publication de « Journey Through The Past », sorte de carnet de voyage cosmique de notre synthétiste nantais en 9 étapes, avec des pièces de choix (parmi lesquelles trônent quelques petits trésors !) ressorties des boîtes à archives, dépoussiérées, et pressées sur une galette emplie de nostalgie, tout simplement indispensable pour les amateurs de trips planants et séquentiels. Mais ces morceaux, que l’on peut considérer comme des œuvres de jeunesse d’un musicien plus que jamais sous influence de ses icônes, sont-ils seulement composés « à la manière de » ? En fait, pas vraiment, tant la personnalité assez singulière de Bertrand Loreau transpire d’entrée de jeu, avec cette sensibilité mélancolique déjà omniprésente et une touche mélodique bien à lui, sur laquelle l’artiste met un véritable point d’honneur. « Harmonie » et « mélodie » sont en effet les deux piliers de toute son œuvre qui jamais ne fera l’impasse sur ces deux fondamentaux, avec un style qui se démarquera, on le sait, de la matrice originelle berlinoise, pour évoluer avec le temps vers une sorte de musique « néo-classique » électronique emplie de finesse et de poésie.

Parmi les morceaux de bravoure de « Journey Through The Past », on notera les deux mouvements distincts de « Le Ciel est Jaune d’un Liquide Inconnu », qui introduit l’album par sa seconde partie (on comprendra aisément pourquoi à l’écoute). Cette merveilleuse symphonie synthétique, déjà présente sur l’album « Réminiscences » (2009) dans une version totalement différente, et donc complémentaire à celle-ci, relève d’une véritable ode à la glorieuse Berlin school des seventies, et tout particulièrement aux grandes heures de Klaus Schulze sur la seconde plage, dont le final n’est pas sans évoquer l’atmosphère puissante de « P.T.O », le titre fleuve du chef d’œuvre absolu qu’est « Body Love » (1976). Cette approche typiquement Schulzienne se retrouve et se déguste avec le même bonheur coupable sur « Moog On The Moon », véritable hommage rendu au maître.

L’autre partie de cette pièce, dénuée de motifs rythmiques et beaucoup plus abstraite dans son exécution, renvoie davantage vers une inspiration Jean-Michel Jarre, avec des passages de douce rêverie qui sonnent presque comme le prolongement du « Equinoxe part 2 ». Impossible aussi de ne pas évoquer l’imposant et particulièrement contrasté (sur les plans esthétiques et émotionnels) « DX Seven Age » , qui navigue quant à lui entre les fresques moins chimériques mais plus vigoureuse du Tangerine Dream post-« Stratosfear », et le Vangelis sensible et rêveur, celui des documentaires animaliers de Frédéric Rossif. Sauf qu’ici, si l’on devait citer précisément l’une des œuvres du génie grec, ce serait sans hésiter son très beau et sous-estimé « Ignacio », ou la bande originale devenue introuvable du confidentiel film franco-mexicain « Entends-tu les chiens aboyer ? ». L’inspiration Vangelis est également très forte sur l’émouvant « Meeting You », qui clôt ce carnet de voyage intersidéral en beauté et en extrême délicatesse.

Pour terminer, signalons toutefois ici et là quelques petites baisses de qualité sonore, tout particulièrement sur « L’arpège A Tord » (clin d’oeil amusant au fameux « arpégiateur »), dont le master est probablement issu d’une cassette audio, comme cela doit être également le cas pour d’autres pistes. Heureusement, ces petits points noirs épars et bien inoffensifs ne viennent en rien gâcher le plaisir de l’écoute de « Journey Through The Past », qui nous replonge dans un véritable âge d’or de la musique électronique tout en posant les bases de l’univers romantique en devenir du compositeur nantais.

Bertrand Loreau est décidemment un artiste essentiel, tout aussi passionné que passionnant, à la fois gardien du temple et formidable explorateur. Bon voyage aux mélomanes, et bonne continuation au musicien et à ses talentueux contemporains, de Patch Work Music et d’ailleurs…

Philippe Vallin (8/10)

http://www.bertrandloreau.com/

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