Antynomy – SiLence

SiLence
Antynomy
Autoproduction
2018

Antynomy – SiLence

Antynomy siLence

Il est des guitaristes dont les œuvres semblent à peine affleurer à la surface du rock, comme des chansons a priori fugaces qui se révèleront, à la longue, tenaces. En l’occurrence, je parle ici d’Antynomy, une jeune musicienne bruxelloise. Je ne pourrais pas vous en dire beaucoup plus la concernant, à part qu’elle est brune et qu’elle porte des tatouages. Le fait est que, pour elle, sa musique passe avant son physique, son message avant son visage. C’est une posture d’une grande étrangeté en ces temps où la célébrité est désormais conçue comme un but ardemment recherché, sinon comme le but suprême. Avec Antynomy, nul empressement de se montrer sans cesse afin que l’auditeur retienne plus ses traits et ses attraits plutôt que ses mélodies et leurs nuances. Cette élégance est finalement gagnante. C’est la musique qu’on écoute, les paroles qu’on recueille, sans filtre inutile, sans arrière pensée. Ces paroles seront celles, par exemple, de « Because We Are », une chanson toute en langueur de l’âme, toute en douleur du cœur. Ou ces paroles seront peut-être celles d’« Is There A Reason Why ? », une chanson plus abrupte et brutale, plus âpre et engagée, et dotée d’un clip à la fois viscéral et poignant.

Cependant, tout ce jeu de séduction évité ne serait qu’un enfumage assez vain si le talent ne suivait pas cette tactique du paravent. Heureusement, Antynomy a de sérieux arguments harmoniques à faire valoir, tout en demi-mesure, en clair-obscur. Ainsi, son nouvel EP, SiLence, est une procession aérée de notes claires, sans goût particulier pour la lumière, une mélodie fort réussie mais en demi-teinte, entre musique et silence, quelques instants d’apesanteur entre ciel et néant. Le clip montre qu’Antynomy est accompagnée d’un batteur pas beaucoup plus disert qu’elle-même sur sa personne, et dont le jeu très méthodique n’efface en aucune façon la guitare dont il épaule le fragile mid-tempo. Nous sommes dans une plaisante pénombre, la caméra montre mais ne dévoile rien, nous entendons tout mais restons dans le flou. Et sur scène me direz-vous ? Car un clip, ça se prépare, ça s’étudie, on montre ce qu’on veut dans un clip, et selon un scénario solidement bâti, hein ? Et bien, la vérité oblige que la scène se conforme au clip, à moins que ce ne soit l’inverse, à ce stade, on ne sait plus, Et donc, sur scène, Antynomy continue de se parer d’un voile de mystère, et même d’un voile tout court, dissimulant plus ou moins son visage. L’essentiel demeure néanmoins, son jeu de guitare lancinant, presque hypnotique, mêlé d’un brouillard de réverb, appuyé par une rythmique savamment décharnée mais superbe d’efficacité.

Antynomy siLence band1

Il y a pourtant un tout petit clip qui, si on le cherche assez, répond à bien des questions. Il semble être un extrait d’un clip plus long, intitulé « Black Box », sans plus de précision ni de certitude. Mais lui-même ne dure que 53 secondes à peine, et est nommé « A Capella Song », le clip étant réalisé dans la maison Autrique, à Schaerbeek, une bâtisse magnifique construite en 1893 par Victor Horta, le chef de file incontesté des architectes Art Nouveau en Belgique. Dans ce lieu des plus stylés, éloignée de sa guitare, la voix nue d’Antynomy se fait pure et plus charnue, uniquement rythmée par les frappes de mains et de pieds du batteur ayant délaissé ses baguettes. Pas de tricherie possible, pas de jolie guitare atmosphérique, pas de batterie calculée au millimètre près, juste 53 secondes d’émotion sans mélange, et le visage d’Antynomy à la fin.

Frederic Gerchambeau

Quelques questions à Antynomy…

Frédéric Gerchambeau : Vous restez très secrète. Un besoin ? Une stratégie ? Soit, je peux comprendre.

Antynomy : Assez discrète, oui. C’est un choix paradoxal dans lequel je me retrouve. Vouloir faire de la musique, s’exposer à quiconque à travers ses créations mais en même temps garder quelque chose pour soi, pour ceux qui nous sont proches. C’est dans ma nature. Je ne pense pas que cela soit incompatible avec le fait de créer. Ce mystère, en fait, est inspirant et m’offre une grande liberté. J’ai toujours adoré ces personnages ordinaires mais qui, sans en avoir l’air, recèlent quelque chose. Une autre raison qui me motive à être un peu secrète, comme ça, c’est la notion de vie privée qui est remise en question via nos systèmes de communication actuels. Préserver une distance est pour moi un challenge avec lequel j’aime jouer. 

FG : Présentez-vous… Qui êtes-vous ? Quel est votre background ? Quelle est votre façon de penser ce monde ?

A : Mon nom est Antynomy, je suis auteure, compositrice et interprète. J’ai toujours créé, depuis l’enfance à aujourd’hui, que ce soit dans l’écriture, la musique, sous des formes plastiques, mais avant de comprendre que c’était finalement mon langage, j’ai goûté et appris un peu de ce que peut être la vie. J’ai grandi en France et j’ai été très tôt indépendante. J’aime voyager, car ça me permet de découvrir d’autres façons de penser, de vivre. Je pense que cette expérience humaine m’influence à chaque moment. Antynomy, le choix de ce nom de groupe est totalement réfléchi. C’est une clef de lecture sur le monde qui nous entoure qui m’intéresse. Je pense que c’est important de savoir où nous vivons pour mettre les pieds dedans. Savoir prendre en compte un ensemble. Nous sommes sombres et lumineux, contraires, forts et fragiles, bienveillants et inutiles dans nos mots parfois, semblables et différents à la fois. Pour moi prendre conscience de cela revient à ne pas prétendre mais se permettre d’avancer les yeux ouverts avec un certain recul et une certaine force. Quant à la musique, elle est avant tout intuitive. J’ai suivi des cours, regardé, échangé… Mais avant tout ça, j’ai eu besoin de savoir qui j’étais et ce que je pouvais créer à partir de mon ignorance, sans repères. Je suis donc aussi autodidacte. 

FG : Présentez la musique que vous faites… Pourriez-vous nous définir son style ? En quoi pensez-vous être originale ? 

: Si je regarde les courants musicaux qui existent, je dirais que mes compositions ont une affinité avec le sadcore. La cinematic aussi peut-être, avec ces bruitages, ces mélodies un peu cinégénique comme ça. C’est comme ça que ces premiers morceaux se sont formulés. Il n’y a rien d’intentionnel là dedans, j’essaie surtout de dépeindre des émotions. La plupart du temps, quand je demande au sortir d’un live, à des personnes, à quoi cette musique leur fait penser, elles ne savent pas. Mes goûts musicaux sont assez éclectiques et cela permet surement une fusion hybride d’influences. 

Antynomy siLence band2

FG : Quelles sont vos influences ? Vous citez quelque part Nick Cave… D’autres pères (ou mères) spirituel(le)s ? Pensez-vous avoir dépassé ces influences ?

A : Le mois passé, j’ai vu en live RYX et Eddy de Pretto. J’aime la nouveauté parce que c’est beau ce monde qui évolue sans cesse. Je reste attentive à ce qui se passe autour de moi et je suis aussi fidèle aux artistes qui m’accompagnent depuis un moment. Il y en tellement : Patrick Watson, Cat Power, Damon Albarn, Holly Herndon, Charles Bradley, Nick Cave, Warren Ellis, Timber Timbre, Radiohead, Massive Attack, Warhaus… Si je dépasse ces influences? Je n’en sais rien. J’aime les savoir près de moi en tous cas.

FG : Parlez-nous de vos instruments… Étaient-ce les vôtres depuis toujours ou est-ce un choix réfléchi pour ce groupe ?

A : J’ai quelques instruments anciens, hérités de mon grand-père. Une guitare manouche, un banjo, mais je me suis dirigée vers plus d’électricité. J’ai une guitare électrique que j’ai mis du temps à trouver. Je voulais un son, un feeling et un instrument pas trop sur-représenté. Je me suis arrêtée sur une Mayones Duvell. Fabrication à la main, micro jazz, en couleur bois brute, l’essentiel. Je me sers aussi de quelques synthétiseurs numériques que je programme via un soft et d’un micro AKG C214. C’est grâce à Antoine, l’autre visage discret et ingénieur du son de ce projet que j’ai ces bons éléments avec moi. Il est là pour toutes les décisions importantes. On forme une petite mais bonne team tous les deux.

FG : Certains de vos titres sont des chansons… Qui chante ? Que disent les paroles ? Qu’est-ce que cela dit de vous ?

A : La plupart des morceaux comportent des paroles en fait. « SiLence », seul instrumental, n’en comporte pas, pour figurer l’absence de mots que l’on rencontre parfois et pour honorer la musique, qui nous parle sans besoin d’autre chose, comme ça. C’est moi qui chante. Je crois en l’art et sa puissance. Je traite souvent de l’auto-détermination dans mes morceaux. Ce n’est pas simple. L’art peut nous aider à ça je pense. A réentendre certains propos, mal formulés, trop entendus. Encourager chacun de nous à être ce que nous sommes et l’envisager comme un véritable point de départ. Oser penser.

Propos recueillis par Frédéric Gerchambeau

http://www.antynomy.com/

https://www.facebook.com/antynomy/

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.