Zsófia Boros – Local Objects

Local Objects
Zsòfia Boros
ECM New Series
2016

Zsofia Boros - Local Objects

ECM est connu pour ses nombreux pas de côté hors des sentiers bien balisés du jazz mais pour cet album, le label a décliné toute paternité et l’a publié sur son sous-label particulier, ECM New Series, spécialement dédié aux musiques dites « contemporaines », ce qui n’est pas faux. Et pourtant, à l’écoute, la filiation de cet album avec certains musiciens du label jazz est explicite. On pense notamment à Ralph Towner ou à Egberto Gismonti – dont l’un des titres est interprété sur cet album en forme de récital.

La guitariste classique Zsófia Boros est peu connue en France, mais ce second album pour ECM est une perle comme sait en déceler le label ECM. Quand bien même il s’agit donc d’un récital de musiciens contemporains, voire non classiques, comme dans son premier disque, et non d’œuvres signées de l’artiste/interprète. Au moins nous évite-t-elle à nouveau les poncifs genre Albeniz ou Segovia, etc., si souvent réinterprétés dans des dizaines de compilations-récitals qu’on finirait par en être dégoûté à jamais, à force d’être « sur-joués ». Ici, la part belle est faite à des artistes très divers pas forcément issus du registre classique pur et dur (l’un est signé Gismonti, on y trouve aussi Al Di Meola et autres compositeurs souvent d’origine latine, Towner-compositeur ayant eu son propre hommage sur En otra parte). Tout cela promettait donc quelques beaux feux d’artifices de cordes pincées… mais pas seulement. Car, bien qu’indiscutable, la virtuosité maîtrisée de Zsófia Boros n’est jamais gratuite genre « Je vais vous en mettre plein la vue », et ne sort de ses gonds que lorsque l’œuvre l’impose. Par exemple dans la suite de Carlo Domeniconi, où l’on restera scotché par un presto final que la guitariste elle-même qualifie de « volcanique » (étourdi comme on l’est aussi par l’incandescence virtuose d’un Estas Tonne dans ses récitals live faciles à retrouver sur Internet). A l’opposé de toute mise en bouche commerciale, le CD débute d’ailleurs par un « Nocturne » on ne peut plus calme et introspectif. En somme, Zsófia Boros est un peu à la guitare ce que David Carradine était au kung fu dans la célèbre série culte des seventies ; une attitude zen et imperturbable face aux difficultés de son art, comme dans l’attente paisible que l’urgence impose de faire « parler la poudre »… A ce titre, et pour rester dans un registre plus guitaristique, l’approche de Zsófia Boros est un peu l’égale de celle d’un Ralph Towner (en solo ou avec son groupe Oregon), hormis qu’elle l’applique ici, plus humblement et avec respect, aux compositions d’autres artistes, et non sur les siennes.

En élargissant les références, très loin des sempiternelles compilations ibériques, Hit Parade ou « Inoubliables de la guitare classique » dont on a déjà parlé, un tel album s’écoute dans le même état d’esprit que les récitals de luthistes du Grand Siècle de Louis XIV le Roi Soleil : les Gauthier, de Visée, Mouton, etc. On y entre en douceur et, comme pour l’ambient, c’est une sorte de philosophie, exigeant une certaine attitude d’écoute et de perception des détails. Nullement ésotérique ni absconse pour autant, la « force tranquille » et le bon goût sans défaut de l’artiste combleront tous les amateurs de guitare classique qui veulent sortir des sentiers battus. Ainsi que, à coup sûr, tous les fans de grands guitaristes jazz contemporains évoluant aux frontières de leur genre, tel les déjà cités Ralph Towner ou Egberto Gismonti.

Hormis la suite ébouriffante déjà mentionnée (Domeniconi), difficile de mentionner un coup de cœur particulier, l’album entier affichant cette ambiance et cette classe permettant une écoute in extenso sans redite ni lassitude, dans une fascination tranquille. Bien entendu, la guitare acoustique, dite « classique », nous transporte avant tout en des territoires latins ou sud-américains, mais sans insistance car, entre les doigts agiles d’une Zsófia Boros toujours inspirée, ces musiques empruntées à leur compositeur d’origine deviennent intemporelles, sans étiquette géographique ni stylistique marquée. Réinterprétées, en somme.

En ces temps de parité à tous les étages, on applaudira aussi la venue sur le label ECM d’une guitariste soliste ; sans doute la toute première, depuis 50 ans qu’existe le label. Et même en cherchant bien et en sortant du registre du jazz, elles ne sont pas légion, les virtuoses des cordes pincées. Zsófia Boros est donc de celles-là. Sans jamais vous en mettre plein la vue et les oreilles par un feu d’artifice nourri (comme le fit par exemple, il y a longtemps, le Friday Night In San Francisco du trio John McLaughlin / Al Di Meola / Paco de Lucia…), ni user de standards éculés, usés « jusqu’à la corde », elle nous éblouit avant tout par la sincérité et la grâce absolue d’une interprétation tout en finesse et en retenue, certes peu extravertie, sans paillettes ni clinquant, mais lumineuse malgré tout. Tel le titre « Light Of A Candle » d’un Ralph Towner déjà mentionné ici et là dans cette chronique. En effet, la comparaison avec ce monument contemporain de la guitare acoustique s’impose aux sens. En espérant que ce parallèle parlera aux amateurs de la six cordes.

Jean-Michel Calvez

http://www.zsofia-boros.com/

[responsive_vid]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.