Wilco – Cousin
dBpm Records
2023
Thierry Folcher
Wilco – Cousin
Je m’adresse à tous ceux qui, comme moi, ont beaucoup écouté Wilco à la fin des années 90 et au début des années 2000 et qui, sans véritable raison, ont fini par lâcher l’affaire du jour au lendemain. Alors, je leur dis qu’il serait peut-être dommage de ne pas repiquer au truc et de ne pas revenir faire un petit tour en compagnie de Jeff Tweedy et sa bande. D’autant plus que l’album Cousin, publié l’année dernière, est plutôt réussi et qu’il mérite qu’on s’y intéresse d’assez près. En ce qui me concerne, j’ai baissé pavillon après la sortie de Wilco (The Album) en 2009. Un opus au succès mitigé qui avait juste la malchance de succéder à quatre monuments de la musique country rock alternative. J’avais surtout l’impression que les gars de l’Illinois commençaient à tourner en rond et n’avaient plus grand-chose de nouveau à proposer. C’est peu dire si le réveil fut plutôt brutal. Le réveil, je l’ai eu en regardant la série The Bear (excellente série localisée à Chicago) et sa bande son du tonnerre. Une musique urbaine, pleine d’énergie qui se devait d’inclure la légende locale Wilco dans son casting. Et c’est avec l’incontournable « Impossible Germany » de 2007 que les rouages grippés se sont réanimés et qu’un évident besoin de reprendre l’aventure s’est fait ressentir. Et là ! Horreur et damnation ! Ce ne sont pas moins de cinq albums que j’avais loupés et qu’il m’a fallu écouter. Du boulot certes, mais y’a pire comme contrainte. Premier constat : Plus de peur que de mal. Pendant cette mise en sommeil, Wilco n’a fait que dérouler sa musique habituelle, faite de ballades soft ou noisy avec, bien sûr, l’inimitable support vocal de Jeff Tweedy. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ce natif de Belleville dans l’Illinois, je dirais que sa voix rappelle parfois Bob Dylan, Thom Yorke ou même Win Butler d’Arcade Fire.
Alors, que retenir de ces années passées sous silence. En priorité, que Wilco s’est émancipé de Nonesuch en 2010 en créant son propre label (dBpm Records) et que les albums qui suivirent connurent de beaux succès d’estime avec notamment quelques singles classés. Pour ma part, même si le plaisir a vite chassé l’ennui, je n’ai pas retrouvé l’étincelle de Summerteeth (1999), de Yankee Hotel Foxtrot (2001) ou de A Ghost Is Born (2004), mais ça, je m’en doutais un peu. Nous sommes à présent en 2023 et le treizième effort studio de Wilco, curieusement intitulé Cousin, s’annonce avec une belle surprise à la clé. En effet, à une exception près (Wilco (The Album)), le groupe a toujours assuré lui-même la production de ses disques. De ce fait, faire appel à la musicienne galloise Cat Le Bon pour participer à l’enregistrement fut une petite révolution en soi. Et cela saute aux oreilles immédiatement. Par rapport au précédent Cruel Country de 2022, la mise en son est sensiblement différente et l’on peut même affirmer que les méthodes professionnelles de Cat Le Bon ont façonné une œuvre à la texture presque inédite. Vous voyez, il n’en fallait pas plus pour me décider à partager ce nouveau Wilco qui, de la sorte, venait de s’affranchir de méthodes un peu répétitives. L’enregistrement de Cousin a été long et le groupe n’a pas hésité à accélérer la sortie de Cruel Country pour lui donner plus de temps à sa réalisation. Petites précisions importantes : Ne fuyez pas devant le sorbet végétal guère appétissant de la pochette et ne vous arrêtez pas non plus à ce titre (Cousin) plutôt raté. Compte tenu du souffle nouveau qui anime les compositions, j’aurais préféré quelque chose de plus percutant ou de plus alléchant.
Et si nous passions à la découverte des dix chansons de l’album. Dès l’entame de « Infinite Surprise » (voilà un titre qui lui allait comme un gant !), c’est la voix claire de Jeff qui surprend. Sa captation est convaincante et le mixage ne l’a pas noyé dans la masse. Idem pour le décor où tout se détache brillamment et se met en valeur au bon moment. Le tic-tac, par exemple, est une sacrée trouvaille capable d’insuffler du rythme et de l’originalité. Mais le plus beau, ce sont les habituels dérapages musicaux qui n’arrêtent en rien la marche en avant de la chanson. La mélodie survit malgré les dissonances et ce premier titre amène une bouffée d’air pur dans la maison Wilco, trop longtemps restée fermée. Ensuite, « Ten Dead » reflète à merveille la décontraction générale ressentie tout au long de ce disque. La batterie de Glen Kotche et le piano de Mikael Jorgensen sautillent doucement pendant que Jeff prend tout son temps pour nous conter les misères quotidiennes de notre société. La fin monte en puissance avec les guitares de Pat Sansone et de Nels Cline en première ligne. Un must de changement de rythme plutôt inattendu et très réussi. Après l’aspect « compliqué » de ces deux premiers morceaux, « Levee » et « Evicted » vont nous séduire par la beauté simple et immédiate de leur tournure musicale. On est en terrain connu, c’est certain, mais cela n’empêche pas de se laisser séduire par de superbes arrangements qui deviennent vite addictifs. Le travail est de qualité et donne aux chansons de Wilco un lustre rarement atteint. On continue avec « Sunlight Ends » et le retour à la mélancolie rêveuse. La poésie est, comme souvent, très personnelle et la musique devient vite enveloppante. Les instruments façonnent un rideau de perles tintinnabulantes où seule la basse du fidèle John Stirratt maintient le groupe les pieds sur terre. Peut-être un des plus beaux moments de Cousin.
Ensuite, « A Bowl And A Pudding » et « Cousin » ne feront qu’amplifier le grand écart avec l’habituelle americana de Wilco et confirmeront l’impact des origines de Cat Le Bon. On croirait presque entendre des tournures à la Bowie ou des phrases répétitives chères à Radiohead. Pas de panique chez les puristes, « Pittsburgh » remet la seyante panoplie Wilco pour nous dessiner une véritable introspection pluvieuse de l’âme, très courante chez Jeff Tweedy. En fait, c’est cette succession de climats différents qui fait le charme du disque. On visite plusieurs mondes assez éloignés les uns des autres, mais sans que l’attention n’en souffre et que Wilco finisse par trahir son image. Au contraire, tout cela reste cohérent et familier, surtout grâce au fil conducteur de la voix. Et c’est ainsi que les guitares country de « Soldier Child » reviendront nous rappeler que Wilco reste profondément attaché à ses fondamentaux. Le solo de guitare est d’une finesse incroyable et nous frustre un peu par sa rareté. On termine joyeusement avec « Meant To Be », un hymne fraternel que n’aurait pas renié Arcade Fire dans sa conception (mais oui !). Le morceau parfait pour achever cet album et, pourquoi pas, les concerts.
Cousin a été très bien reçue par la presse spécialisée. Les commentaires sont pour la plupart élogieux et, dans leur ensemble, rendent hommage au travail innovant de Cat Le Bon. Cette jeune quadra vit désormais aux Etats-Unis et, en marge à ses propres albums, poursuit avec succès sa carrière de productrice auprès de célèbres figures locales (cf. ma chronique de Flying Wig de Devendra Banhart). Le cas Wilco est édifiant et permet d’affirmer que les regards extérieurs sont à un moment donné presque indispensables pour éviter toutes formes d’enfermement ou de redites. Dans ces regards neufs, on voit souvent renaître la fraîcheur, les fondements et la magie initiale d’une écriture hors du commun. C’est tout à fait ce qu’il s’est passé avec Cousin.
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