Ulver – The Assassination Of Julius Caesar
House Of Mythology
2017
Ulver reste et restera une énigme, un détail sur une photographie dont on suppose à peine la vision d’ensemble. Un gros plan sur un zoom flouté, une forme au milieu de traits, taches et courbes, une poussée impressionniste inattendue dont les repères critiques se retrouvent annihilés en un claquement de doigts. Capable de faire un grand écart stylistique pouvant rendre jaloux le grand Jean-Claude Van Damme lui-même, Ulver cultive sa passion pour les opposés et la dissidence. Après tout, c’est tout le concept du groupe : muer constamment, toujours surprendre, pour qu’au final notre syndrome d’attente se retrouve à un niveau d’incertitude et d’incompréhension avancé. Tel David Hemmings dans le film Blow Up, l’auditeur pourra toujours agrandir, encore et encore, contempler davantage, et continuellement réfléchir sur des images et ses représentations, il restera dans une interrogation du réel, un simulacre d’intention. Et aux loups de Norvège de creuser le sillon. De l’intention ? Ou du simulacre ? Bonne question.
Du symbole mortifère de Lady Diana à la mythologie grecque, des habitations humides de la Louisiane à la conquête spatiale, The Assassination Of Julius Caesar est hybride, ambivalent. Surprenant… Stylistiquement, oui, c’est une évidence. Comprendre et admettre que d’anciens black métalleux, une fois arrivés à leur treizième album, pondent un disque « pop » (aux sonorités synthétiques proches du dernier Jamiroquai) qui refoule autant les eighties, où Tears For Fears côtoie Depeche Mode, Talk Talk ou la synth-wave, n’est pas donné à la compréhension de tous. Mais c’est le jeu, le concept, donc une partie des règles à suivre. Ulver cite autant Badalamenti que ses créations antérieures, des effluves (spoken-words mécaniques) de Marriage Of Heaven And Hell aux accents nocturnes (piano, saxophone) du sublime Perdition City. Et au milieu de tout ça, le fantôme androgyne de George Michael se love dans les intonations réverbérées de Kristoffer Rygg. Un puzzle gentiment capricieux, en bonne et due forme, un travail toujours aussi assidu, voire millimétrique, dans les répercussions du son dans l’espace, des refrains entêtants, tout autant que certaines mélodies et rythmiques qu’on pourrait passer sous un filtre désuet et paradoxalement attractif, pouvant s’emballer et dévier en un simple battement de cil. Des exaltations momentanées, abstraites ou incongrues, toutefois légitimes dans le contrat qu’impose Ulver. C’est regarder un épisode de Miami Vice et ses couleurs pastels dans un mouvement de rotoscopie où le silence d’un instant, ou les notes éparses d’un piano, côtoie un sentimentalisme étrange et exacerbé. D’une simplicité sidérante (si on excepte des invités proches de la scène expérimentale), voire binaire, The Assassination Of Julius Caesar n’est pas pour autant un trip nostalgique qui arrive à retenir l’attention plus que d’autres, c’est un trip à la Ulver, ne l’oublions pas, laissant autant de portes ouvertes que d’interrogations. Ce qui n’empêche pas de secouer ses cheveux ou de se laisser aller aux mouvements d’une danse.
Car plus fort que l’intention, que la simulation, il reste le simulacre…
Jéré Mignon
http://www.jester-records.com/ulver/
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